Conseils d’écriture de Pierre Bottero

Il y a quelques années et pour répondre à la demande de ses lecteurs, Pierre Bottero nous livrait, sur le site des Mondes Imaginaires, ses conseils d’écriture. Des conseils à l’image de Pierre : positifs, encourageants, enthousiasmants… À tous celles et tous ceux qui écrivent ou qui ont envie d’écrire.


Les Conseils d’Écriture de Pierre Bottero

Article (re)posté le 27/07/12 sur le site Livre-attitude.fr

« Un fait étonnant se dégage de mes rencontres, des lettres que je reçois, des messages que postent sur le site les lecteurs et les lectrices d’Ewilan : vous êtes nombreux à écrire. Très nombreux !
Après réflexion, ce n’est pas si étonnant que ça. Lire et écrire sont deux activités, deux passions, intimement liées et quoi de plus logique après s’être évadé dans les récits de quelqu’un d’autre, que de vouloir inventer sa propre route ?
Beaucoup d’entre vous me demandent des conseils : Comment commencer ? Comment finir ? Où trouver l’imagination ? Quels pièges éviter ?
Ou parfois sollicitent mon avis : Est-ce que ce que j’ai écrit est bien ? Comment m’améliorer ?
Dans un premier temps, je me suis trouvé un peu dépourvu face à ces questions. J’étais (et je reste) persuadé qu’écrire un ou plusieurs livres ne fait pas obligatoirement de l’auteur quelqu’un capable de prodiguer des conseils pertinents. Puis je me suis lancé, tentant de donner des « trucs » à ceux et celles qui en avaient besoin. Des conseils sans prétention, des avis qui n’engagent que moi, des recommandations simples et amicales…
Aujourd’hui, alors qu’entre deux projets de romans j’ai un peu de temps libre, je tente de coucher ces « trucs » sur le papier, en espérant qu’ils vous seront utiles. Les voici.
Non, attendez. Une dernière chose. Importante. Ce qui suit n’est pas un cours de littérature ou d’expression écrite, oubliez l’école, le collège, le lycée… imaginez plutôt que nous sommes assis dans des fauteuils (ou au sommet d’un arbre) en train de discuter tranquillement.
Vous y êtes ?

L’envie

L’envie.
Commençons par le commencement. Écrire doit être une envie. Terrible. Irrépressible. Tyrannique. Incoercible. Quelles que soient les raisons (certainement nombreuses) qui te poussent à écrire, elles doivent se raccorder à une envie. Envie d’inventer, envie de dire, envie d’être lu(e), envie d’éclaircir, envie de rêver, envie de jouer avec les mots, envie de s’évader, envie de contester, envie d’expliquer, envie de rapporter, envie…
À chaque instant de l’écriture l’envie doit être là. Même lorsque les phrases se coincent et deviennent ridicules sur ta feuille, même lorsqu’il faut corriger pour la soixante-quatorzième fois, même quand l’Idée qu’on savait si géniale s’est évaporée, même quand cette jalouse de Zoé ou ce rustre de Benoît disent que ce que tu as écrit est nul.
Et pour que cette envie soit vraie, il faut que tu sois toi. Je répète souvent qu’on écrit avec trois choses : avec ses mains évidemment, posées sur le clavier ou tenant le stylo, avec sa tête qui organise un peu tout ça, et, surtout, avec son ventre. Dans le mot « ventre » je place en vrac le cœur, les sentiments, les sensations, les poumons, les certitudes, les doutes, la rate, les intuitions (vachement important, les intuitions) les peurs, les joies… Tout ce bric-à-brac indispensable n’appartient qu’à toi. Essaie d’utiliser celui d’un autre et tu vas à la catastrophe.
Envie et ventre.
C’est clair ? On continue.

Par où Commencer ?

Par où commencer ?
Tout simplement par écrire. Pas de projet de titan, pas d’ambition démesurée, de plan fignolé, de synopsis de folie. Une feuille et l’envie d’y glisser quelques phrases comme elles viennent. Sans préparation. Ce peut être une scène, cette fameuse scène qui te hante et que tu meurs d’envie de raconter depuis des années, ou une autre scène complètement nouvelle que tu découvres en écrivant. Ce peut être un portrait, une description ou simplement quelques paragraphes sans queue ni tête. Peu importe. La seule chose qui compte c’est prendre conscience que la magie existe. Il y avait quelque chose dans ma tête et maintenant c’est sur le papier.
Attention, le premier piège est là !
Est-ce vraiment la même chose sur le papier que dans ta tête ? Relis et sois impitoyable envers toi-même. Est-ce vraiment ce que tu avais envie d’écrire ? Non, ne triche pas ! Réponds ! Tu es le seul (la seule) à connaître la vérité et si tu te mens, tu es fichu(e). (c’est pas tout à fait vrai, il y a toujours de l’espoir, j’écris ça pour le côté dramatique de l’histoire.)
Si tu n’es pas convaincu(e), aucune hésitation : recommence. Une autre feuille ou la même, les mêmes idées ou des différentes, peu importe. Recommence. Et n’oublie pas : il n’y a pas d’autre objectif à atteindre que le plaisir d’écrire ce que tu as envie d’écrire !
Ça y est ? La magie de l’écriture t’est devenue perceptible ? Bravo. Tu as compris l’essentiel : écrire avec tes mains des phrases organisées par ta tête qui jaillissent de ton ventre.
Les mains écrivent moins vite que ce qu’on aimerait ? On s’en fiche, on n’est pas pressé !
La tête fait des fautes d’orthographe et n’est pas très douée en conjugaison ? Pas de problème, elle finira par apprendre son métier !
Le ventre reste fermé ? C’est son droit, mais alors qu’il ne vienne pas se plaindre si la feuille reste blanche. Il faut qu’il fasse un effort. Un conseil toutefois : ne le brusque pas trop, ce brave ventre. Cool. Respire. Ouvre la porte, d’abord à moitié puis en grand. Laisse sortir tes sentiments. Waouh, ça fait du bien, non ?
Bon, le plus dur est fait, on peut passer au reste.

Les pièges à éviter.

Les pièges à éviter.
Il y en a quelques uns que je connais bien, d’autres, plus nombreux, que je pressens sans trop savoir où ils se trouvent et d’autres enfin, certainement légion, dans lesquels je tombe tête la première chaque fois que j’écris. Ben oui, personne ne les connaît tous et celui qui prétendrait en dresser une liste exhaustive en aurait pour une vie entière. Au moins ! D’autant plus que ce qui est un piège pour un auteur peut être une force pour un autre. Qui peut distinguer à coup sûr ce qui est un vilain tic d’écriture de ce qui est la marque d’un style recherché ?
Bon, reste tout de même qu’il y a des choses qu’il vaut mieux éviter.

Règle 1 :

Ce qui est limpide dans ton esprit ne l’est pas forcément dans celui de ton lecteur. Prends le temps de poser tes personnages, les lieux dans lesquels ils évoluent, leurs relations. Quand tu écris, tu invites celui ou celle qui te lira à une balade. À toi de faire en sorte qu’elle soit intéressante.
Attention aussi de pas tomber dans l’excès inverse. Donne envie à ton lecteur d’en savoir plus mais veille à ne pas l’écraser sous une masse d’informations inutiles ou, du moins, prématurées.

Règle 2 :

Ne cherche jamais à te justifier. Si tu as écrit une scène à laquelle personne ne comprend rien, ce ne sont pas tes lecteurs qui sont stupides mais ta scène qui est mal décrite. Ne l’explique pas, tu es auteur pas conteur, écoute les critiques et remets-toi au boulot.

Règle 3 :

Trop d’action tue l’action. Quand je lis un premier chapitre d’un peut-être futur roman, il contient souvent assez d’action pour en nourrir douze ou plus (j’exagère à peine) Une action, quelle qu’elle soit, est prenante si elle est amenée par touches successives. Un livre, c’est un peu une maison. Tu as le droit de la construire comme tu veux mais si tu n’y mets que des fenêtres, elle sera moche et s’écroulera très vite !

Règle 4 :

N’est pas Proust qui veut. Des phrases courtes sont plus faciles à manier que de longues tirades qui finissent par ressembler à des sables mouvants.

Règle 5 :

La langue française est riche de dizaines de milliers de mots. Tu n’es pas obligé(e) de tous les utiliser mais te contenter d’une dizaine d’entre eux pour remplir trois cent pages est un peu… mesquin. Ton traitement de texte te propose certainement un dictionnaire des synonymes (clic droit et « synonymes » sous Word) À utiliser sans modération… mais avec intelligence.

Règle 6 :

Avant de s’étirer en belles et fluides phrases sur ta feuille, ton histoire a besoin de germer, de se nourrir de tes songes, de pousser dans l’intimité de tes pensées. Ne te jette pas sur ton ordinateur, laisse à ton histoire un temps de gestation. Et même lorsque tu écriras, ménage-toi des pauses. Écrire c’est aussi penser et rêver. C’est surtout penser et rêver.

Règle 7 :

Alterne astucieusement les phases de description, celles d’action et les dialogues. Ton texte n’en sera que meilleur, ton histoire que plus riche.

Règle 8 :

Relis, relis, relis et corrige ! Le traitement de texte (hautement conseillé) te permet de reprendre, transformer, améliorer ce que tu viens d’écrire. Profites-en, et admets une fois pour toutes que parmi tous les livres que tu as lus, aucun n’est le fruit d’un premier jet. À titre d’info, un tome d’Ewilan me demande en moyenne trois à quatre mois d’écriture (à raison de huit heures de boulot sur mon ordi en moyenne par jour) et trois à quatre mois de travail de correction. Sans oublier les heures et les heures de gestation dont je parle dans la règle 6. J’explique parfois que j’écris vingt-quatre heures sur vingt-quatre. En dormant, en mangeant, en parlant, en conduisant… Du coup, lorsque je suis devant mon ordinateur, je n’invente rien, je laisse juste sortir l’histoire qui a poussé dans ma tête.

Règle 9 :

Pas trop de personnages et, surtout, pas tous ensemble, jetés en vrac dans les trois premières pages. Une fois encore, laisse le temps à ton lecteur de s’adapter à ton histoire et à ceux qui y vivent.

Règle 10 :

Valable pour les personnages mais aussi pour les villes, les créatures, les pays et autres guildes. Trouver un nom est un travail qui nécessite de l’imagination et de la mesure ! Sa sonorité, sa longueur, sa forme sont essentielles pour que le lecteur se représente ce que tu as dans la tête. Attention aux dérives de la surenchère : ce n’est pas parce que ton monstre sera un Duxhyraqjug qu’il sera effrayant ( ce serait plutôt le contraire), mais parce que tu l’auras décrit avec habileté et que tu auras soigné l’ambiance du moment où il apparaît. Personnellement je m’amuse avec les sons, collant et décollant (virtuellement) les syllabes jusqu’à ce que la « musique » du mot inventé me convienne. Les mots Ts’lich, Ewilan, Gwendalavir, et bien d’autres encore, sont nés ainsi. J’ai toutefois veillé à ne pas exagérer avec les sonorités étranges, et c’est pour cela qu’il existe des marcheurs, des siffleurs et de « simples » ours élastiques.

Voilà dix règles. On pourrait en trouver dix autres, sans doute même cent autres, voire mille, sans pour cela cerner avec précision ce qu’est l’écriture. Alors, plutôt que de continuer à m’étaler, je vais résumer en deux mots :
Envie et travail.
…Et revenir une seconde sur le mot de travail. Tu peux écrire une page et fournir un travail remarquable, comme en écrire cinq cents et n’avoir rien compris au sens du mot. La qualité d’un travail ne se mesure pas à la longueur d’une histoire mais aux exigences de son auteur. Envers lui-même !

Et après ?

Et après ?
Quoi après ?
Ben… Pour que mon roman soit publié.
C’est à la fois très simple et très compliqué (si, si, les deux à la fois, c’est possible !)
Simple parce qu’il suffit d’envoyer ton texte à un éditeur (choisi parce qu’il publie des romans dans le genre du tien) avec une courte lettre de présentation (de l’auteur et non de l’histoire). Ton texte sera lu, évalué et tu recevras une réponse (ça prend parfois du temps).
Compliqué parce que les éditeurs reçoivent des dizaines de textes par jour et que les « élus » sont très très rares. D’où l’importance de n’envoyer un texte que lorsque tu le considères comme parfaitement achevé et que, en toute bonne foi, tu te sais incapable de l’améliorer.
Rappelle-toi : Si ton texte t’enthousiasme, il n’enthousiasmera peut-être que toi, mais s’il ne t’enthousiasme pas, il a peu de chance d’enthousiasmer quelqu’un !

Et maintenant ?

Et maintenant ?
Il me reste deux ou trois choses à dire. Ou à redire.
D’abord que ce qui précède n’engage que moi et que, s’il existe mille façons de parler de l’écriture, la mienne n’a pour but que te donner un (très) modeste coup de main.
Ensuite le besoin de préciser qu’écrire est certes un plaisir mais que ce n’est pas le seul plaisir au monde. Loin de là. On peut très bien vivre heureux sans inventer la moindre histoire.
Et pour finir, l’envie de te souhaiter bon courage et belle route.
Dans tes histoires et dans ta vie. »

Pierre Bottero

Sources

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