Pêle-mêle Ciné #3 : Core Of the World, Blossom Valley, SAF

Je profite de l’été pour reposter de vieilles critiques ciné… Si ça peut donner des idées de films à voir =).


Minis Billets du Cinéma / Pêle-mêle

6 Mars 2019

3 critiques du Festival Premiers Plans 2019

Core Of the World, de Natalia Mechtchaninova– L’Humain au bout du monde.

Reculé dans la campagne sibérienne, Egor semble fuir un passé pesant, une enfance qui l’a détruit. Immergé dans son métier de vétérinaire, son environnement ne le touche plus, son empathie ne s’exprimant qu’à travers les animaux. L’arrivée de militants écologistes dans son centre de rétention de mammifères sauvages vient bousculer le quotidien routinier et ce rejet du passé. Egor vit entre sa solitude et l’intimité de ses employeurs.

Affiche Core Of the World

Ode à la complexité, Core Of the World joue avec le recul. Recul sur soi, sur l’autre, sur le monde. La réalisatrice Nathalia Meschaninova nous présente son amour chaleureux des animaux, en miroir des relations humaines distantes, froides. Mais, plus subtilement, un certain manichéisme est démonté, en évitant l’écueil d’un jugement moral trop hâtif. En jouant avec les oppositions, le film change notre regard sur les personnages, et montre en creux leurs faiblesses. L’amour, le corps et le désir ne sont pas tabous, mais sont toujours suggérés de manière ambivalente, entre des instincts primaires et une violence préméditée. Le mal-être, palpable dans ce paradoxe extrême, évolue jusqu’à un paroxysme explosif qui nous déroute et rend une fois encore Egor plus insaisissable que jamais. Le pardon, enjeu d’une fin inattendue, redonne un espoir à tous. Reconstruire une harmonie, un dialogue avec soi, l’autre, et l’environnement.

La réalisation ne sert pas toujours bien le propos, avec un abus de plans serrés et une monotonie installée ; mais ces défauts, souvent inhérents aux premiers films, n’occultent pas la réussite de ce portrait d’un personnage torturé, chaotique. Une réussite qui nous laisse espérer de bonnes surprises pour les prochains films de la réalisatrice.

Blossom Valley, de László Csuja – Une fuite torturée

Une fois de plus, la compétition officielle de 1ers Plans de cette année nous présente un long drame social et réaliste. Bianka et Laci, perdus dans l’ennui de leurs vies respectives, se retrouvent ensemble au pied du mur, un nourrisson volé sur les bras. Emporté dans la tourmente de la survie, ce duo plonge jusqu’au plus profond d’une misère sociale et intellectuelle. Fuyant institutions, famille, police et criminels, les deux jeunes se mettent peu à peu le monde entier à dos qui les pousse à un point de rupture explosif.

Affiche Blossom Valley

Ce couple improvisé fantasme une vie inaccessible, et se coupe sans le savoir de toute échappatoire. Bianka, entre colère et désillusion, exprime sa haine démesurée d’une société qui la rejette, et franchit une ligne de non-retour. De son côté, Laci, benêt influençable, plonge malgré lui avec Bianka, se découvrant un amour pour elle. Plutôt figure d’innocence, Laci est amené à être violenté par ce monde noir, détraqué, et à lui-même dépasser ses limites morales. L’ensemble présente un environnement et des personnages abominables, laids, où tout exprime une déchéance de l’humanité. L’on sent une envie du réalisateur d’aller au-delà des normes, de déconstruire des notions habituellement acceptées par tous.

Malheureusement, le but n’est pas atteint, László Csuja semble ne pas être allé au bout de son ambition sur plusieurs points. Les personnages sont antipathiques et éclatés, empêchant par leur inintérêt toute empathie pour eux ou pour l’univers du réalisateur. La narration, peu cohérente, peine à donner un sens global à l’histoire : on se demande à la fin ce que l’on voulait nous transmettre. Quelques scènes absurdes sont drôles, marquantes malgré tout, avec une attention particulière et agréable pour la bande sonore. Mais ces instants, presque magiques, sont coupés abruptement pour enchaîner sur d’autres scènes d’un prosaïsme férocement ennuyant. L’histoire, en dépit d’un traitement personnel, est vue et revue. Même les personnages, bien qu’intéressants et complexes, sont très similaires aux clichés des antihéros torturés des autres drames de ce type. S’inscrivant dans ce qui semble être une tendance actuelle, la répétition systématique des gros plans et plans serrés montre ses limites, et sort le spectateur de son expérience.

Cependant, gardons à l’esprit que ces défauts sont aussi l’apanage des premiers longs métrages. László Csuja, malgré quelques maladresses, possède une approche mature de la société, des relations humaines et du cinéma.

SAF – Ali Vatansever ; L’Architecture des relations

Par le prisme politique, économique, Ali Vatansever nous montre une Istanbul en pleine gentrification. L’urbanisation, ancrée dans le dispositif capitaliste, modifie profondément la vie quotidienne et les rapports sociaux. Kamil est pris dans un étau qui l’oblige à choisir entre chômage et un travail qui va à l’encontre de ses idéaux. En effet, sa société détruit son quartier, et, chantage au chômage, lui impose un salaire au rabais. L’entreprise, tirant son épingle de la pauvreté, des réfugiés syriens et plus généralement de la situation politique, détruit peu à peu les liens des habitants, leurs amitiés, leur solidarité.

Affiche Saf

Seulement, les choix radicaux effectués par Kamil entraînent sa mort. La narration délaisse le personnage pour ne plus quitter sa femme, Remziye. Celle-ci, empêtrée dans une situation qui l’oblige à allier survie et enquête, est finalement plus en quête de sens qu’en recherche de la vérité. La disparition oblige Remziye à supporter sa solitude autant qu’à s’affirmer dans un monde d’homme. Amené à se prendre en main dans la difficulté, le personnage se définit peu à peu, se libère aussi et dessine un portrait en marge de son entourage.

La mise en scène, sobre, suggère et laisse planer les doutes sur les événements. Cependant ce trop-plein de sobriété, additionnée à une présentation prosaïque de la réalité, produit un léger ennui. Ne manquant pourtant pas de rebondissement, l’histoire peine à nous tenir en haleine. Finalement assez inégale, l’œuvre présente des instants d’une belle puissance enchaînant sur des scènes plutôt plates. Par ailleurs, Ali Vatansever nous fait ressentir cette ville, personnage omniprésent et vivant, en profonde urbanisation. Son impact destructeur sur les personnages nous arrive de plein fouet, grâce à l’exposition de ses tragiques conséquences : expropriations, exploitation des employés et provocation de comportements individualistes et égoïstes par la mise en compétition des habitants. Cette dimension politique, finalement en arrière-plan par rapport à l’intrigue principale, fait fonctionner le film sur des parallèles et offre une densité efficace.

S’il reste seulement quelques images marquantes après la séance, cette réappropriation de Remziye à son réel et sa recherche nous habitent encore. Saf nous laisse aussi un fonds de lutte des classes, un panorama d’une société, peut-être un peu convenu, mais non moins juste.


Parution originale : Blog des Ambassadeurs du Cinéma – Angers 400 Coups, Mars 2019
https://ambassadeurscineangers.wordpress.com
Reposté sur Marchombre.Fr en 2024 (Anté-posté) car le site original n’existe plus.

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