Introduction
Nous l’avons vu dans les précédents mémoires que nous avons lus, Pierre Bottero s’inscrit dans la lignée des auteurs jeunesse des années 2000, dont il prolonge les traditions. Et parfois les renverse. D’une littérature d’évasion pour le Cycle d’Ewilan, il prend ensuite un virage avec Ellana.
Dans son mémoire, intitulé « “C’est parce qu’on y croit que certaines choses finissent par exister” : Représentations des masculinités et renouveaux des imaginaires genrés dans le cycle de Gwendalavir de Pierre Bottero », publié en 2022, Félix-Béthune Pasek apporte un ensemble d’analyses sur la thématique du genre. Mais aussi autour ; les VSS, le racisme… À lire sans modération.
Corpus étudié : La Quête d’Ewilan, Les Mondes D’Ewilan, Le Pacte des Marchombres.
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Ce genre de publication est plutôt à destination d’universitaires, de futurs chercheurs sur Pierre Bottero. Cependant, n’hésitez pas à vous plonger dedans, ce mémoire est tout à fait accessible à n’importe quel lecteur assidu, de Pierre Bottero ou de d’autres auteurs ! Dans tous les cas, cette analyse saura vous donner des clés de lecture intéressantes, de quoi pousser plus loin la lecture de l’œuvre de Pierre Bottero et la resituer dans le cadre des enjeux de l’Imaginaire.
Droits d’auteur : Tous les droits sont réservés à l’auteur. Je remercie Félix de m’avoir autorisé à le publier sur le site.
« Représentations des masculinités et renouveaux des imaginaires genrés dans le cycle de Gwendalavir de Pierre Bottero », de Félix Béthune-Pasek, 2022
Pour aller plus loin
Travail de longue haleine, il est impossible de résumer un mémoire 🙂 mais je vais quand même tenter ici de vous en traduire quelques intérêts et chouettes trouvailles !
DeS littératureS d’Évasion ?
Inspiration incontournable de Pierre Bottero, Félix revient sur l’œuvre de J.R.R. Tolkien :
« Plus généralement, Tolkien se fait critique de la notion d’escapisme, et de son mésusage rarement ingénu à la veille de la seconde guerre mondiale, pour parler de l’état de ce qui entre dans un monde secondaire. Il s’oppose à la confusion opérée entre “l’évasion du prisonnier” qui, incarcéré, cherche en imagination à rentrer chez lui ou simplement à penser à autre chose que les murs qui l’enferment, et la “fuite du déserteur” »
P25.
J’ai trouvé ce point particulièrement pertinent pour introduire la problématique de Pierre Bottero, qui dans un engagement politique ponctuel sur fond libéral, se situe entre ces deux visions de la littérature évasion. Entre l’évasion du prisonnier et la fuite du déserteur.
Féminisme, le genre, masculinités….
Dans sa partie sur l’Empire (P39), Félix replace avec justesse le bilan de la parité du monde de l’Ailleurs ; Gwendalavir et le continent de l’Est sont gouvernés majoritairement par des hommes, vieux, issus de noblesses. Les tâches sont encore très genrées en Gwendalavir, le care (soin) étant plutôt réservé aux femmes, y compris chez les Haïnouk, pourtant collectif aux alures féministes. Les femmes ont tendance à se faire effacer de la représentation de l’univers. Les exceptions, valorisées par Pierre Bottero, sont bien des marges.
P40, Félix, en faisant un tour des figures masculines, nous présente également la masculinité hégémonique de l’Autre Monde ; une masculinité valorisée principalement par les faits d’armes, l'”honneur et le courage”, et dont la mort doit survenir à l’issu d’un épique combat aux risques calculés.
Le mémoire s’attarde également sur les VSS (P46 notamment), sur la culture du viol, et leur traitement dans l’œuvre, au travers d’un passage en revue des différentes agressions du cycle (vous trouverez par exemple une analyse de la scène avec Lahira très pertinente). Gwendalavir, loin de représenter l’utopie, permet à PB d’à la fois poser un regard critique sur la société, et de proposer, au travers de personnages-exceptions, des comportements différents.
P59, on découvre un passage qui sonne très juste sur le fait que Pierre Bottero écrit autant pour redonner du pouvoir aux filles, que pour offrir aux garçons une autre masculinité, moins viriliste/masculiniste.
Mémoire tout en nuances, Félix Béthune-Pasek n’oublie pas de mentionner que la féminité valorisée chez Pierre Bottero emprunte en creux beaucoup au masculin.
Enfin, le mémoire se termine évidemment sur l’aspect iconoclaste des marchombres, la manière qu’ils ont de remettre en question la binarité (notamment de genre) de L’Ailleurs et une lecture manichéiste de celui-ci.
Lecture critique
Choix par défaut du système politique de Gwendalavir ?
Dans son mémoire, P32, Félix nous propose une lecture très conciliante du cycle sur une de ses thématiques politiques : le choix des systèmes politiques à représenter dans l’univers.
« Il est important de voir que le choix de la reproduction d’une spatialisation de l’influence du pouvoir en Gwendalavir n’est pas un choix par défaut dans l’œuvre de Bottero, comme en atteste l’existence d’autres modèles d’organisation sociale dans l’Autre Monde. Par exemple, la deuxième société humaine majeure se situe à l’est de la mer des Brumes […]. La société faëlle propose un autre exemple d’organisation politique. »
P32.
Je nuancerais ce fait que ces deux sociétés sont présentées pour la première dans Les Mondes, puis dans Le Pacte pour la seconde : elles sont absentes de La Quête. C’est donc plutôt a priori bien un choix par défaut dans La Quête d’Ewilan que cet empire médiéval-fantastique classique, choix sur lequel il revient dans la suite en présentant d’autres modèles. En appui de cette nuance, la carte de La Quête, dont le continent de l’Est est absent et n’apparaît que dans la suite.
Pour moi c’est un détail important car il fait partie des éléments qui montrent que le cycle n’est pas univoque dans son propos, et que l’œuvre montre une politisation progressive.
Gwendalavir, un régime alternatif au capitalisme ?
Concernant l’organisation politique de Gwendalavir, une affirmation qui me semble un peu ambitieuse m’a fait tiquer :
« On l’aura donc compris, Gwendalavir semble être en nuances : il existe un système nobiliaire et une économie fondée sur la monnaie et témoignant de disparités socio-spatiales, mais pas de système capitaliste qui assure le monopole des moyens de production à une classe dominante asservissant une classe dominée. »
P35
Le système capitaliste ne semble pas centralisé en effet, mais il y a bien une classe dominante, celle des nobles à particule, et le pouvoir des Guildes sur les alaviriens lambda.
Rien ne dit qu’il n’y ait pas de conflit de classe au sein des guildes. On peut le voir chez les Rêveurs, où maître Carboist et les Rêveurs du 7ème Cercle possèdent des informations capitales (comme le lieu et le pouvoir du Rentaï). La guilde est construite autour d’une hiérarchie, le Maître conduit et possède sa confrérie, et ordonne aux autres. Que les guildes soient à l’écart du monde (comme les Rêveurs), ou non (les marchands), au final, à elles toutes, elles le constituent.
Quant aux marchombres, certes au-dessus des lois d’après Ellundril Chariakin, ils ont un conseil influent auprès de l’empereur et la politique de Gwendalavir. Ellana sert directement l’empereur en tant que messagère dans le T2 du pacte, et les marchombres protègent les caravanes, notamment celles de sphères graphe. On est loin d’une guilde en dehors du monde et de ses rapports de domination, auxquels elle participe très clairement, (CF Jorune qui surveille une bijouterie pour le compte d’un marchand). Le conseil de cette guilde même, en gérant les missions et travaux donnés, définit un rapport au travail de ses membres (même s’ils ont une certaine latitude), et, in fine, est une classe dominante qui gère les moyens de production en totale situation de monopole.
Pour qu’il n’y ait pas monopole, il aurait fallu plusieurs guildes marchombres, ou marchandes etc… Au contraire la formation en guildes assure une situation de monopole à ses membres par son organisation.
De là à dire que les guildes, alliées à la noblesse, forment précisément une classe moyenne et une classe dominante asservissant les autres, il n’y a pas tant de pas que cela.
Conclusion
Sur les thématiques féministes, sur le genre, sur la présentation des masculinités, le mémoire est une perle qui passe au crible tous ces petits détails qui n’en sont pas. Le mémoire regorge également d’analyses sur les politiques relationnelles, comme celle d’Ewilan et Salim, éclairées à la lueur des concepts récents tels que le care, le mansplaining etc…
Après ce mémoire, on ne lit plus Ewilan de la même manière !