Critique (docu) : Vers la plus Queer des insurrections — Baroque et Eanelli


Résumé

Couverture Vers La Plus Queer des InsurrectionsLe recueil Vers la plus Queer des insurrections est un retour sur le mouvement Bash Back! (traduisible en “riposte”), un mouvement queer des années 2000 aux USA, au travers des textes du mouvement, soit répondant à l’actualité, soit prenant du recul afin de théoriser les idées du mouvement.

Notre violence est-elle substance ou image ?  […] C’est ici que les chemins divergent. Les queer radicaux.les vont-ielles suivre le chemin de l’image du militantisme, de l’insignifiance? Si c’est le cas, on peut s’attendre à pléthore de films et de séances photo qui récupèrent l’image glamour de la lutte armée (comme la faction de l’armée rouge à paillettes). On peut s’attendre à de nouveaux hommages rendus aux émeutes d’il y a quarante ans et soulèvements de l’autre côté de l’océan (accompagnés, bien sûr, d’une condamnation des émeutes lorsqu’elles se passent ici et maintenant – et de pleurnichages sur les vitrines brisées et les kiosques à journaux renversés). La violence est acceptable si elle reste une abstraction, une forme d’art, un événement historique ou une brève internationale du journal TV – lorsqu’elle est séparée de nous. Elle sera toujours refusée au niveau de notre vie quotidienne, lorsque nous devenons ses agent.e.s.
Extrait de Questions à aborder avant Denver, Bash Back!, dans Vers la plus Queer des insurrections, Fray Baroque et Tegan Eanelli, Libertalia

Les auteur-e-s : “Fray Baroque et Tegan Eanelli sont deux anarchistes queers, participant-e-s à Bash Back ! et vivant aujourd’hui à Oakland et San Francisco. Ielles sont né-e-s dans les années 1980 et 1990.”


Critique

Dans Vers la plus Queer des insurrections, on suit les débat internes qui ont traversé la génération de militants.es des années 2000 aux États-Unis. Notamment les questions de la violence politique, questions qui traversent obligatoirement les groupes militants, et leur récupération politique.

Autre débat ; la tension entre les stratégies insurrectionnalistes (pour la destruction des classes) et intégrationnistes (pour les politiques d’identités).
Ce dernier débat est probablement le plus important et celui sur lequel s’attarde le plus le livre, montrant comment la lutte pour des droits (mariage pour tous…) pouvait être récupérée par une certaine classe et au final servir le système de domination ; en continuant à faire des hiérarchies/dominations entre les personnes, notamment envers celles exclues des lois dites progressistes : en particulier les queers.

L’intégrationnisme et les politiques de l’identité

L’intégrationnisme peut être défini comme une stratégie et/ou un set de croyances basé sur la reconnaissance des vécus différents ; des dominations différentes. Ce tout formant des identités spécifiques ; queers, non-blancs.ches, pauvres etc… dont il s’agirait d’améliorer les droits, lutte par lutte.

Dans cette stratégie, toute “avancée sociale” est bonne à prendre, les lois sur le mariage gay en seraient une, la vie concrète de gens est significativement améliorée. Pour les intégrationnistes, tous les moyens sont bons pour parvenir à l’égalité, la violence dans une certaine mesure, mais aussi l’utilisation des processus politiques plus institutionnels.

L’insurrectionnalisme

L’insurrectionnalisme tel que présenté dans le bouquin est nécessairement intersectionnel. Il pose sur la table que les groupes/les identités ne sont pas du tout homogènes en termes de vécus ou de privilèges. Le gay d’une classe populaire a souvent plus en commun avec son voisin hétéro du même milieu social qu’avec un Gabriel Attal quelconque homme politique qui s’affiche comme gay.
Dans sa stratégie, l’insurrectionnalisme ne vise pas un changement dans le politique, mais la destruction du processus politique, et avec lui les “rouages de la société de classe”.
Pour résumer, il ne veut pas que les dominés rejoignent peu à peu les classes dominantes ; car non seulement il y aura toujours des laissés pour compte, mais pour lui ce serait également se fourvoyer sur la nature des systèmes politiques actuels ; dont la domination en est la pièce maîtresse de son fonctionnement. Il s’agit donc pour lui de détruire purement et simplement le système, les classes.
(Ainsi le mariage, gay ou pas, reste une institution oppressive, qu’il s’agirait de détruire.)
L’insurrectionalisme considère les politiques de l’identité comme une certaine stratégie communautariste, où l’on continuerait à perpétuer un genre, une identité imposée par la société ou même l’intégration de violences subies.

Pour aller plus loin ; Pink And Black Attack 2010 :

J’espère que je n’ai pas trop massacré ces concepts pour cette petite vulga résumée =). En tout cas rien ne vaut une citation :

« Une contradiction apparente apparaît ainsi entre la nécessité de reconnaître l’identité en tant que construction sociale tout en tentant de détruire la société de classe qui impose ces identités. […] Le problème, c’est qu’il n’y a en fait aucune contradiction. En effet, les deux positions sont intimement liées. Afin de détruire la société de classes, il est nécessaire d’en analyser le fonctionnement. En bref, nous devons connaître notre ennemi. Il faut pourtant coûte que coûte éviter le piège de l’essentialisme et comprendre que ces identités sont construites par une structure socio-économique plus vaste. »

 

Vers la plus Queer des insurrections, Libertalia Poche, p. 229.

Queer reprend alors sa définition d’origine, non pas une identité, mais un mot pour désigner justement ce qui échappe à l’identité. Et qui lutte contre.

Soyons insaisissables.


Sources et références:

  • Fray Baroque et Tegan Eanelli, Vers la plus Queer des insurrections [Nouv. Ed augmentée], Paris, Libertalia, 2020 [2012].
  • 17 septembre 2020 pour la présente édition, traduction originale de 2016.
  • ISBN: 9782377291366
  • Prix 10€
  • Éditions Libertalia.
    (on aime bien ces éditeurs ! checkez notre autre critique chez eux)

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