Critique : 3 Raisons de lire Mutafukaz (Run)


Mutafukaz est un peu un inclassable… entre amour, banlieue, catch, mafias et violence débridée, Angelino peine à mettre la tête hors de l’eau…

« Angelino squatte une chambre d’hôtel miteuse dans le quartier latino de Rios Rosas avec son pote Vinz et enchaîne les petits boulots. Ses journées se traînent en de monotones zappings télé (heureusement il y a ces matchs de catch mexicain dont il est fan), de jobs foireux en discussions métaphysiques sous les étoiles avec son pote. Jusqu’à cet accident qui le plonge dans un tourbillon impliquant hommes en noir surarmés, gangs de toutes sortes, catcheurs justiciers mexicains et même des entités cosmiques vicieuses aux buts mystérieux ! »

1 – Le Post Super-Héros

Watchmen enterrait déjà en 1986 la figure du super-héros. Mutafukaz fait le pari de reprendre la thématique pour la dépasser : dans la lignée des antis-héros, mais à l’inverse de Watchmen, les figures héroïques de Run ne sont pas perdues définitivement et restent douées d’une capacité d’évolution.

Run présente plusieurs formes d’héroïsme. Tout d’abord arrive Angelino, grand super-pouvoir, mais anti-héros enfant et pauvre, qui craint pour sa vie, et qui ne contrôle pas son pouvoir. On le voit durant la série errer pour sauver sa peau. On assiste à sa découverte de l’amour, et peu à peu, au fur et à mesure des épreuves, on le voit évoluer, prendre des risques pour ses proches, grandir.
D’un autre côté, la bande des catcheurs, où c’est l’entrainement autant que l’expérience qui forgent des légendes. Run nous montre toute l’ambivalence de ces figures, issues d’un milieu basé sur l’apparence, le superficiel, mais se révélant au final tout de même capables d’êtres utiles, d’accomplir une œuvre et de risquer leur vie pour ce qu’elles pensent juste. Puta Madre, le spin-off, nous dévoile un passé bien peu glorieux pour ces catcheurs, de fachos violents et de bandits, à la rédemption longue, mais possible.

Par-delà le Bien et le Mal…

Ne pouvant se contenter d’un manichéisme simpliste, Mutafukaz déplace la dichotomie du bien et du mal vers une autre dualité : le mieux et le pire. Et encore. BD de la nuance, on retrouve rarement des personnages ou actions aussi tranchés.
Si le Mal existe bien, il n’est pas tant à combattre avec des poings : le mal c’est avant tout la société toute entière faite d’inégalités, responsable des déterminismes qui mènent à la misère des banlieues : mafias et cartels, pauvreté extrême, violences des gangs…
Quand au mieux et au pire, plus que des forces réellement en opposition, c’est une dualité qui permet d’éviter aux personnages tout nihilisme ; de garder pour moteur un fond d’espoir, ou du moins un horizon vers lequel aller, même si la dépression n’est jamais loin.

Si Watchmen était la repolitisation du Super-Héros, et donc sa fin, Mutafukaz lui offre une porte de sortie : sans oublier, il peut devenir un espoir là où l’État n’est que corruption, la démocratie factice.

 

2 – Dynamique et Poétique de la misère

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Mutafukaz est déjanté ! BD du mouvement, Run présente une œuvre d’ambiances et d’actions.
La fuite d’Angelino ne se termine jamais, que ce soit la mafia, les balles du gouvernement, les seringues ou même juste l’amour, il lui faut courir. Mutafukaz, c’est donc un page-turner qu’on ne peut pas lâcher avant de l’avoir terminé, le suspens est à chaque instant à son comble.

L’ambiance, elle, nous plonge dans un univers de couleurs et d’émotions. Le numérique, technique privilégiée du comics, permet à la colorisation la création d’une véritable cohérence dans la palette de couleurs, qui devient palette d’émotions.

Les affiches et couvertures de chapitres, insérées entre ces derniers donnent une vraie profondeur à l’univers, en nous offrant des esthétiques différentes et riches en détails. Une véritable esthétique de la banlieue, du gang, de la pauvreté et de la culture populaire qui traverse ces milieux. Un vrai pied de nez à tous les dénigrements que subit la “sous-culture“.

3 – Un univers étendu et vivant

L’Adaptation de Mutafukaz au Cinéma

Avec Shōjirō Nishimi et le studio 4°C japonais, l’auteur Run a co-réalisé l’adaptation de son œuvre Mutafukaz (2017). Son implication à la fois dans la production et la réalisation se sent : d’une très bonne facture, elle ravira les lecteurs du comics tout comme ceux qui découvrent pour la première fois cet univers. Les musiques du talentueux groupe The Toxic Avenger subliment avec brio cette aventure qui méritait très clairement le grand écran.

Puta Madre

Spin-off génial dans le même univers, Puta Madre explore plus en profondeur plusieurs thématiques survolées dans Mutafukaz. Œuvre plus mature, on y découvre l’univers sordide de la prison états-unienne, l’omniprésence religieuse, la vie des gangs de motards, et bien d’autres écoles du crime…

Sources :

  • Les intégrales de Mutafukaz et Puta Madre, au label 619 des éditions Ankama (2018).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.