Critique : Melmoth Furieux – Sabrina Calvo

« La Commune n’est pas qu’une idée, ou même une démarche politique, c’est une vie. Une circulation du vivant entre les pavés du pouvoir. »


Passé la claque magistrale de Toxoplasma, j’attendais non seulement le prochain texte de Sabrina Calvo avec fébrilité et confiance, mais j’attendais aussi le moment propice pour le lire. Un livre vient à vous, vous appelle au moins autant que l’inverse… Le moment est finalement venu en parfait écho ; dans un creux de vague du mouvement social.

 

L’autrice

Éditée principalement chez La Volte, cette écrivaine jongle entre Montréal et Paris, mais ses romans ne constituent qu’une infime portion de ses publications artistiques. Elle travaille (entre autres) dans la BD et le game design. Après Sous la colline, Elliot du néant, et Toxoplasma (Grand Prix de l’Imaginaire 2018), elle nous sort fin 2021,  tout droit sortit de son esprit fin et déjanté, son dernier roman, Melmoth Furieux.

L’histoire

Ruminant la mort de son frère, Fi tourne en rond dans la Commune Libre de Belleville. Au cœur d’un dernier soubresaut de révolte face au capitalisme, agitée à la fois par ses désirs de vengeance et l’affection qu’elle porte aux enfants de la lutte, Fi finit par trouver sa manière d’agir, de résister. Avec son entourage, elle se lance dans la confection d’une robe, une robe dont elle espère que l’Imaginaire qu’elle porte sera à même de renverser Disney.

« Ne jamais sous-estimer la connexion entre ragot et révolution. »

Une trame interstitielle révolutionnaire

Qui a dit que la Révolution se jouait sur les barricades, le jour du grand soir ?… Pas Sabrina Calvo en tout cas, qui préfère raconter les histoires à l’arrière de la lutte, dans les squats, les friperies auto-gérées, les bars et les assemblées.

Melmoth Furieux, d’une certaine manière, raconte des quotidiens passés au prisme d’un torrent de rage : des moments parfois banals ou triviaux de travail, de repas, d’amitiés, que la narration rend exceptionnels. Avec Fi, on se niche au cœur des interstices de Belleville, des espaces parfois durs et violents, mais de liberté inattendue. Des espaces qui font, au final, la saveur d’une lutte, et sont de précieux rappels de pourquoi  la lutte existe ; la proposition d’une alternative désirable. Un avenir où les relations, décloisonnées des normes toxiques, ont plus de place pour s’épanouir. Où les enfants, nourris de relations transgénérationnelles d’un nouveau genre, reprennent une puissance sur le monde et deviennent à même de renouveler leurs propres imaginaires.
Un petit pied de nez aux dogmatiques de la pureté militante : chacun sa voie, sa manière d’aider la lutte, dans la mesure de ses moyens : Fi n’est pas de ces incendiaires toujours debout sur les barricades, et trouver sa place dans la Commune lui prend du temps.

Sabrina Calvo maîtrise à merveille sa métaphore (filée) de la couture, symbolisant autant l’acte de révolte de Fi que l’écriture même du roman. Une forme d’espace intime autour d’une pratique de l’autrice, dont elle tient à nous transmettre finalement moins le goût que les sensations et émotions très personnelles qu’elle procure à son personnage, ainsi qu’un nouvel imaginaire.

« Nous nous réaliserons dans nos créatures, dans la matière vivante de notre imaginaire. C’est le rêve que nous opposerons à leur désert.
Sans rêve et sans réalité – Aux images nous sommes condamnés. »

Un imaginaire appelé pour faire autre chose que ce que véhiculent les stars de Disney, ces figures presque hégémoniques et indétrônables dans nos têtes, et qui pourtant sont creuses, faites plus de paillettes que de concepts. À l’inverse, la couture propose de revenir aux petites choses, revenir aux créations pratiques que l’on peut faire avec nos mains. D’où l’importance du corps. Ce corps dont le système nous dépossède si souvent, et qui pourtant est notre puissance d’agir, de liberté, essentiel.

« Je sais que c’est ici et maintenant, dans nos corps et nos os, que se fait le monde. »
« On a passé nos siècles à faire et défaire nos corps. Que reste-t-il d’eux aujourd’hui ?»

Grands frissons

Melmoth Furieux, c’est aussi un certain plaisir de jeu avec ce fantasme assumé de la Commune de Paris, réappropriée d’une manière inédite, entre barricade et magie de Disneyland. C’est cette sensation d’être dans le quotidien d’un grand moment de l’Histoire, à vous en donner le frisson.

Petits airs hérités de Toxoplasma, j’y ai ressenti des ambiances rétro, tant niveau musiques que ciné, ou même de mode. Bien m’en a pris d’écouter des musiques des années 80 pendant la lecture, ça matche !

Le style est irrémédiablement vivant, aux dialogues toujours en contre-pieds, et à la métrique autant implacable que chaotique : une poésie qui prend aux tripes.

« Le virtuel nous a volé l’énergie de nos corps
Les corps du monde sont des anges pétrifiés
Restez ici, avec nous. »

Encore une fois, Sabrina Calvo réussit le tour de force de nous faire ressentir une palette d’émotions très large, de la fureur politique à la douceur poétique d’instants profondément heureux.

In fine

Comme Toxoplasma, Melmoth Furieux, est tout ce que j’aime dans les littératures de l’Imaginaire, un écho intime et déjanté à l’actualité, la prolongeant et la sublimant.
Une littérature qui ne se voile pas la face sur la violence du monde et des luttes en cours, et qui sait par ailleurs rester utopiste, poétique à en pleurer, toujours en proposant les imaginaires nécessaires à un monde meilleur.

Source

  • Melmoth Furieux, Sabrina Calvo, ill. David Lyle et Stéphanie Aparicio, La Volte, 2 Sept. 2021
    312 pages – 18 €,
    ISBN : 9782370490889
  • Le site de la Volte : https://lavolte.net

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