Bonus : Pour Continuer à Arpenter la Voie

Nous avions déjà publié un texte de cet ensemble de bonus, 10 Rêves pour Petits et Marchombres. Mais je ne peux résister à l’envie de vous partager l’ensemble en un pavé plus cohérent. En effet, ces textes ne sont disponibles que dans l’édition Rageot principale (Grand Format et Poche), et certains d’entre vous pourraient en avoir besoin à des fins d’analyses.

Ceci-dit, voici donc les trois fragments qui constituent « Pour Continuer à Arpenter la Voie », le texte bonus de l’édition originale d’Ellana.

  • Dix Rêves pour un Petit / Dix Rêves pour un Marchombre
  • Maître et Élève.
  • Voyage (absent de l’intégrale)

Le PDF

Bonne lecture…


POUR CONTINUER À ARPENTER LA VOIE…

Dix Rêves pour un Petit

  • Cueillir trois kilos de framboises par jour.
  • Rigoler avec les copains.
  • Cueillir, un jour, une framboise de trois kilos.
  • Se disputer avec les copains (mais pas pour de bon).
  • Se réconcilier avec les copains en mangeant des framboises.
  • Trouver une clochinette bleue.
  • Sauter à pieds joints dans les flaques.
  • Éclabousser les copains.
  • Regarder se lever la lune.
  • Se promener.

Dix Rêves pour un Marchombre

  • Se glisser derrière l’ombre de la lune.
  • Rêver le vent.
  • Chevaucher la brume.
  • Découvrir la frontière absolue.
  • La franchir.
  • D’une phrase, lier la Terre aux étoiles.
  • Danser sur ce lien.
  • Capter la lumière.
  • Vivre l’ombre.
  • Tendre vers l’harmonie. Toujours.

MAÎTRE ET ÉLÈVE

– Dis-moi, jeune apprenti, dis-moi ce qu’il y avait au commencement.
– Au commencement étaient le vent, la nuit et les étoiles.
– Et ensuite ?
– Ensuite vint le marchombre, né d’un rêve de liberté, fil de vouloir sur trame d’harmonie.
– Que fait le marchombre, jeune apprenti ?
– Il chevauche le vent, parle à la nuit, et courtise les étoiles.
– Où va-t-il, jeune apprenti ? Où va le marchombre ?
– Il suit la voie.
– Où la voie le mène-t-elle ?
– Nul ne le sait et cela n’a aucune importance. Le marchombre est la voie et la voie est le marchombre. Seul compte le fait de la parcourir. Toujours plus loin.
– Dis-m’en davantage, jeune apprenti. Dis-moi quels sont les buts que poursuit le marchombre.
– Le marchombre recherche l’harmonie. Dans ses gestes, sa vie et ses pensées. Le marchombre recherche aussi les limites. Celles des hommes, celles des éléments et celles des rêves. Afin de les dépasser. Il recherche enfin la vérité. Épurée, parfaite. La vérité redevenue vent.
– Dis-moi, jeune apprenti, dis-moi le trajet qui t’attend.
– Un maître marchombre m’a choisi et me forme. Son enseignement dure trois ans et n’appartient qu’à lui. S’il ne doit des comptes à personne et me transmet son savoir de la manière qu’il l’entend, mon maître doit toutefois me présenter au Conseil qui entérine son choix et m’autorise à arpenter la voie. C’est la première étape.
– Quelle est la deuxième étape, jeune apprenti ?
– Pendant les trois années que dure ma formation, mon maître peut, s’il le désire et s’il m’en estime digne, me faire subir les épreuves de l’Ahn-Ju. C’est la deuxième étape et elle est facultative.
– Parle-moi de l’Ahn-Ju, jeune apprenti.
– Trois maîtres marchombres me testent. Exigence et intransigeance sont les fils avec lesquels ils tissent leurs épreuves. Réussir l’Ahn-Ju signifie pouvoir, lorsque ma formation sera achevée, enseigner à mon tour la voie à un apprenti. Réussir l’Ahn-Ju signifie aussi pouvoir prétendre à la greffe.
– La greffe, jeune apprenti ?
– C’est la troisième étape.
– Parle-moi de la greffe, jeune apprenti.
– C’est l’étape ultime. Un voyage initiatique dans l’inconnu, des épreuves impitoyables, un prétendant placé devant l’essence même de la voie et face à sa propre insignifiance. Toujours. La mort. Souvent. La greffe est rarement accordée mais qu’elle le soit ou non, s’il survit, celui qui l’a sollicitée quand il revient chez les hommes se trouve transformé.
– Qu’est-ce que la greffe, jeune apprenti ?
– Seuls savent ceux qui l’ont obtenue, et ceux qui l’ont obtenue n’en parlent pas.
– Que sont les marchombres qui n’ont pas subi les épreuves de l’Ahn-Ju, ceux qui n’ont pas sollicité la greffe ou ceux qui se la sont vu refuser ? Que sont les marchombres qui s’arrêtent à la première étape ?
– Ils sont marchombres.
– Mais encore, jeune apprenti ?
– La voie n’est pas graduée. Tenter de la comprendre et y progresser représentent les priorités du marchombre. Puisque l’on arrive jamais, le chemin parcouru est plus important que l’endroit d’où l’on part.
– Qu’est-ce que le Pacte des marchombres, jeune apprenti ?
– Une lumière sur la voie. Un guide qui permet de ne pas s’en éloigner.
– Qui sont les membres du Conseil, jeune apprenti ?
– Les garants du Pacte. Six maîtres marchombres choisis parmi les plus anciens pour ouvrir la voie aux plus jeunes. Six maîtres chargés de garder le maître-mot.
– Quel est le maître-mot, jeune apprenti ?
– Liberté.


VOYAGE

Aux confins du monde connu, là où les frontières des empires humains pâlissent jusqu’à ne plus être que d’aléatoires tracés sur les cartes d’explorateurs devenus fous depuis longtemps, là où les légendes sont tissées avec des fils de vérité et où la vérité vacille devant l’inconnu, là se dresse une montagne solitaire. Défi lancé au ciel tel un arrogant doigt de roche adamantine, elle transperce les nuages et tutoie les étoiles.
Une caverne s’ouvre près de son sommet, bouche noire et béante d’où s’échappent des relents de souffre, des lueurs rougeoyantes et, la nuit venue, d’effrayants grondements.
Des chevaliers montent la garde devant cet antre obscur. Figés dans d’étranges postures, ils sont vêtus d’armures qui furent naguère étincelantes. Le plus impressionnant d’entre eux est un colosse brandissant une hache de combat et un écu au blason devenu illisible. Qu’il pleuve, vente ou neige, il demeure immobile.
Comme ses compagnons, il est mort.
Si la visière de son heaume n’était pas baissée et si sa chair n’avait pas fondu sous feux de l’enfer, on lirait dans son regard une terreur si totale qu’elle est devenue folie.
Aucun bruit sur la montagne. Aucun mouvement.
La mort et le silence.
Une silhouette se glisse pourtant entre les corps pétrifiés des héros oubliés.
Légère, indécelable, elle pénètre dans la caverne. L’obscurité n’a aucun effet sur la grâce de son pas.
Elle avance, aussi précise qu’une flèche.
Aussi silencieuse qu’une ombre.

Sous la montagne, le dragon sommeille. Âgé de cinq mille ans, il repose sur un extraordinaire monceau d’or et de bijoux, de pierres rutilantes qui cascadent sous ses ailes repliées, de parures scintillantes et de joyaux mirifiques. Trésor inestimable pour lequel des rois, par dizaines, se sont damnés.
La puissance des grands anciens coule dans ses veines tandis que la magie originelle enveloppe son corps d’une aura bleuté. Il veille sur son butin. Redoutable sentinelle, capable de déceler le moindre bruit, la moindre présence sur une incroyable distance et de réduire en cendres n’importe quel intrus, voleur audacieux ou armée conquérante.
Il ne bronche cependant pas et ses paupières restent closes lorsque l’ombre pénètre dans son antre. Fine silhouette vêtue de cuir souple, elle s’approche sans crainte de la titanesque créature. Elle n’accorde pas un regard aux richesses qu’elle foule.
Nulle lame, nulle flèche n’a jamais effleuré le Dragon, aucun contact humain n’a jamais souillé ses écailles brillantes.
La main d’Ellundril Chariakin se pose sur son cou.
Lorsqu’il ouvre les yeux, alerté par un sens surnaturel, le Dragon est seul. Il comprend instantanément.
Que quelqu’un est venu.
Que quelqu’un est reparti.
Que rien ne lui a été volé.
Que quelque chose lui a été apporté.
Un message.
Écrit en lettres flamboyantes sur le mur qui lui fait face :

Beauté du geste libre
Supériorité de l’esprit sur la force
Rire.

La clameur de rage du Dragon s’élève sur la montagne alors qu’il prend son envol, avide de vengeance.
Impuissant.
Là où va Ellundril Chariakin, rien ni personne ne peut la suivre…

… souffle imperceptible, elle se glisse dans le dos de l’homme assis à sa table de travail. Elle regarde par-dessus son épaule sans qu’une seule seconde il se doute de sa présence. Un bref sourire étire ses lèvres quand elle lit les mots qu’il vient d’écrire sur son ordinateur.
Il est si loin de la vérité.
Il arrête de taper sur son clavier, comme si la conscience de son incapacité à traduire l’âme marchombre se frayait enfin un passage dans son esprit.
Il ferme les yeux un instant. Soupire.
Deux mains se posent alors sur ses tempes, si délicates qu’il ne les sent pas, si douces que la tension en lui soudain reflue. Il recommence à écrire.

… Ellundril Chariakin se dresse sur le dos du Dragon. Dans son poing levé au-dessus de sa tête, le médaillon flamboie d’une lumière éclatante qui illumine les Spires comme l’aurait fait un soleil miniature.
La légendaire marchombre écarte les bras et plonge.
Droit dans le cœur du démon…

… Une brise légère fait tourner les pages du livre abandonné sur la table. Une silhouette vêtue de cuir souple s’en éloigne d’une démarche fluide et, sans émettre le moindre bruit, se fond entre les arbres.

Limites sans cesse repoussées
Plaisir infini
Écriture.

Pierre Bottero

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.