Andarta Pictures : Redressement judiciaire et licenciement massif


Andarta Pictures, le studio d’animation de Bourg-lès-Valence en charge de l’adaptation en série d’animation d’Ewilan, est en difficulté financière, au point de se séparer de 76 salariés d’une autre série ; Lana Longuebarbe. Entre sous-financement de la culture et surmenage d’employés, un conflit social devenu la norme dans l’animation.

Andarta Pictures en redressement judiciaire

Petit flashback, le 21 avril dernier, je découvrais avec stupeur la mise en redressement judiciaire du studio Andarta Pictures, aux commandes de l’adaptation en série d’animation Ewilan. Le jugement du tribunal de commerce de Romans-sur-Isère a été rendu public le 28 mars 2025.

Logo Andarta PicturesJe m’empresse de demander, de manière informelle, des informations supplémentaires au studio, en vérifiant à la source l’information, qui m’est rapidement confirmée.

Une situation qui explique peut-être en partie le marketing important de l’entreprise sur le merchandising : nombreux produits dérivés (dont des éditions limitées), campagnes de financement diverses (kickstarters), et autres demandes de soutien envers les communautés de leurs séries (Paypal, Patreon etc.).

Le bénéfice du doute peut être laissé au studio de par la nature même de la création artistique, et il peut également arriver des aléas extérieurs, du registre financier ou autres. Le secteur d’une manière générale est en difficulté, abandonné par un gouvernement qui coupe toutes les vivres à la culture et qui doit affronter une offensive de la droite sur les médias.

“Licenciement” massif de 76 salariés dans le studio

Affiche provisoire de la série Lana Longuebarbe

Début mai, on en apprend un peu plus grâce aux petites mains du studio, sur cette période sombre qui remonte à fin janvier en réalité. L’un des commanditaires de la série Lana Longuebarbe (à la production, Zephyr Animation et Copernicus Studios (Canada) ; et à la diffusion, le groupe RTL ) n’aurait pas respecté ses engagements financiers en temps et en heure. C’est donc la série Lana Longuebarbe qui paye les pots cassés du studio et des financeurs, d’abord par un rythme qui épuise les techniciens, puis par le projet « mis en pause » le 28 février. Quelques jours plus tard, le 4 mars, c’est 76 des 85 salariés de la série limogés, série annulée net en plein développement.

La méthode fait polémique, les salariés s’étant vu leurs contrats écourtés, d’abord avec promesse de reprise selon certains, puis, une semaine plus tard, un abandon définitif.

Communiqué du collectif « La Barbe ! »

Ce collectif d’ex-salarié·es d’Andarta-Pictures s’est fendu d’un communiqué sur internet après de longs mois de lutte, souhaitant rendre publiques certaines pratiques qu’aurait eu le studio.

D’après le collectif, plus que la mise sur la touche des salariés (liée à un facteur externe), l’un des principaux reproches concerne la communication aux salariés. Les difficultés financières sérieuses de l’entreprise n’auraient été transmises aux travailleurs de la série que très tard dans le processus, au moment de l’arrêt supposé provisoire de février, voire au dernier moment en ce qui concerne le redressement judiciaire. Sont également pointés surmenage des salariés, et utilisation abusive des contrats précaires.
Sur ce dernier point, c’est la question un peu complexe de l’AGS (le Régime de Garantie des Salaires) qui cristallise les tensions. Sur demande de l’entreprise, les salariés de Lana Longuebarbe ont signé un avenant pour écourter leurs contrats (ce qui serait une forme d’auto-licenciement déguisé ?), pensant reprendre plus tard. Ce faisant, l’AGS, présente pour pallier les défauts de paiement, n’a pris en charge que les mois et jours de salaires en retard et jusqu’à fin des contrats écourtés, et non pas les salaires des mois indiqués dans les contrats initiaux.
Enfin, le communiqué dénonce une situation globale de l’animation, qui n’est pas propre au studio Andarta, entre exploitation, sous-budgétisation des projets, et précarité.

Dévoiler pour lire le communiqué en entier

La barbe !

Dans l’animation, 76 salarié·es de plus sur le carreau : la précarité comme outil de management.

 

Le secteur du film d’animation français est un petit milieu où, soi-disant, tout se sait. Pourtant, les violences vécues sur certaines productions se font rarement entendre en-dehors de l’enceinte des studios.
Par ce communiqué public, nous souhaitons donner une vision claire du vécu des salarié·es dans notre industrie et des pratiques indignes qui y perdurent.

 

Le 4 mars 2025, 76 salarié·es d’Andarta Pictures se retrouvent subitement sans emploi ni salaire.

Fin février 2025, les technicien·nes embauché·es sur la série Lana Longuebarbe travaillent depuis plusieurs mois sur ce projet, dont la fin est prévue en juin 2025. Du jour au lendemain, iels sont informé·es que la production est mise en pause pour deux semaines. A la va-vite, la direction leur fait alors écourter leurs contrats.

Quelques jours plus tard, iels sont informé·es que la pause annoncée se transforme en arrêt définitif du projet. Certain·es d’entre elleux venaient à peine d’être embauché·es et aucun·e salarié·e n’avait été prévenu·e de la fragilité de l’entreprise. Tous·tes se retrouvent sur le carreau, sans avoir pu se préparer. Comment a-t-on pu en arriver là ?


Courant 2024, Andarta Pictures, studio de production de films d’animation et employeur important commence la fabrication de 39 des 52 épisodes de la série 2D Lana Longuebarbe. Le studio valentinois embauche pour l’occasion de nombreux·ses technicien·nes dans de nouveaux locaux.

Rapidement, de nombreux problèmes d’organisation impactent le travail des équipes techniques. En cause, le matériel insuffisant fourni en amont mais aussi les demandes irréalistes, créant rapidement un encadrement tendu au quotidien.

Des frictions entre départements naissent de cette pression constante, mais on demande aux salarié·es de se montrer compréhensif·ves s’iels veulent garder leur emploi, utilisant une rhétorique de responsabilité individuelle face à des problèmes visiblement structurels. Plusieurs technicien·nes démissionnent, épuisé·es moralement ou physiquement, et beaucoup souffrent de ce cadre de travail.

Malgré les dysfonctionnements signalés de manière répétée par les équipes, le studio continue à embaucher toujours plus de technicien·nes, augmentant les effectifs, sans budget, et sans communiquer sur l’état du projet.

Fin février 2025, les salarié·es sont réuni·es par la direction qui fait une annonce : la fabrication de la série est mise en arrêt de façon immédiate. Le motif invoqué : un litige budgétaire avec le commanditaire. La direction rassure : il s’agit d’un arrêt temporaire de une à deux semaines dont l’objectif est de faire pression sur le commanditaire. Elle assure que la reprise est quasiment certaine. Les informations sont minimales mais la direction affiche un certain optimisme.

Dans la foulée, les salarié·es reçoivent un email : on les presse de signer un avenant pour arrêter immédiatement leur contrat au 28 février. Les raisons restent vagues, il s’agirait d’une formalité pour appuyer la position de la direction dans le cadre de son litige avec le commanditaire. Dans la foulée, on somme les salarié·es de rendre leur badge et de débarrasser leurs affaires. Tout le monde s’attend à reprendre le travail mi-mars, mais désormais les emplois ne sont plus garantis par les contrats de travail. Le 4 mars, un nouvel email tombe. La direction y annonce la fin définitive du projet et que les salaires de février seront versés avec deux semaines de retard.


Les salarié·es se retrouvent sans emploi du jour au lendemain. La communication opaque du studio n’a permis à personne de se préparer à une telle situation.

Parmi les salarié·es laissé·es sur le carreau, plusieurs n’ont pas encore droit à l’allocation de l’assurance chômage. D’autres, venant d’emménager à Valence spécialement pour le projet, se retrouvent dans une grande précarité à cause des frais engendrés.

Dans le courant du mois de mars, les salaires ne sont toujours pas arrivés. Une partie des ancien·nes salarié·es se regroupe alors en assemblée générale pour faire le point. Au fil des témoignages, un constat commun émerge : la production était chaotique et a mis beaucoup de personnes en souffrance.

Cette fin abrupte parachève un ras-le-bol subi depuis plusieurs mois ! Ces pratiques désormais courantes dans le domaine ne sont pas l’apanage d’un seul studio, et beaucoup identifient des schémas qui se répètent. Le projet Lana Longuebarbe s’inscrit dans la continuité d’années d’efforts toujours plus importants réclamés aux salarié·es.


Les premières réunions du collectif permettent de formuler des revendications légitimes sur les conditions de fin de contrat, les salaires et l’encadrement du projet.

Une délégation de 4 salarié·es est formée, accompagnée du délégué général du SPIAC-CGT, pour présenter les revendications des salarié·es à la direction du studio. Un rassemblement d’une quarantaine de personnes soutient cette délégation. Si l’échange reste courtois, la direction nie cependant sa part de responsabilité et met fin au dialogue en rejetant la faute sur le commanditaire et les chef·fes de postes.

À cette occasion, la délégation apprend que le studio sera placé en redressement judiciaire à partir du 25 mars 2025. C’est désormais l’assurance (AGS) qui, sous forme de prêt au studio, prend en charge le paiement des salaires de février. Le retard dans leur versement s’allonge et les découverts bancaires se multiplient.

Les salaires seront finalement versés avec plus d’un mois de retard mais la prise en charge de l’assurance s’arrêtera là : les salarié·es découvrent que la signature de l’avenant, exigée plus tôt, empêche tout paiement des salaires prévus par les contrats initiaux.

Les salarié·es du film d’animation, déjà fragiles par la nature ultra-flexible de leur travail, n’ont pas le temps de se retourner et plusieurs d’entre elleux se retrouvent dans une situation financière difficile.


Notre tolérance atteint aujourd’hui sa limite. La barbe !

Nous invitons tous·tes les salarié·es du film d’animation qui se reconnaissent dans cette situation à se mobiliser à nos côtés, en partageant ce communiqué et en donnant de la visibilité à notre mobilisation.

Nous invitons également celleux qui le peuvent à participer à la cagnotte de solidarité qui sera prochainement créée pour soutenir nos collègues les plus impacté·es financièrement par la situation.


ÉDIT  (16 Juin) :
Un ensemble de pratiques sont dénoncées par le collectif, et selon l’enquête de Médiapart, une dizaine de salariés seraient actuellement en démarche aux Prud’hommes sur la question de leurs contrats.
Également, l’article de Médiapart mentionne la sortie en Samu de deux chefs d’équipe suites à aux tensions dans le studio.

Autre visuel provisoire de la série

Réponses d’Andarta

Après relance plus formelle et fuite du communiqué de la Barbe sur le discord d’Andarta, l’entreprise finit par communiquer plus ou moins formellement sur ce même discord à propos de la situation le 12 mai dernier. Sollicité ensuite par nos soins, Andarta a pu répondre à nos questions de manière plus détaillée lors d’un entretien.

Sur la question économique

Affiche Lana LonguebarbeAndarta, de son côté, confirme bien qu’ils ont eux-mêmes demandé le redressement judiciaire en urgence au tribunal de commerce, conformément à l’obligation légale à le faire sous 45 jours en cas de cessation de paiement. Et ce, suite à des impayés du financeur, Zephyr Animation, notamment au mois de février. C’était selon eux l’impasse, puisque ~ 200 000 € étaient à sortir pour les salaires, avec seulement ~ 50 000 € de trésorerie ; la procédure de redressement judiciaire leur aurait permis de faire passer ces salaires sur l’AGS, l’assurance de l’État dans ces situations.
De ce que nous avons compris, Andarta s’est protégé d’un gouffre énorme à long terme en écourtant les contrats (c’est-à-dire en empêchant les salariés de toucher l’AGS sur les mois prévus finalement non travaillés). En effet, à terme, s’ils veulent éviter la liquidation, ils doivent rembourser ces AGS, puisqu’il s’agit en réalité de créances que l’État leur fait.
Pire que cela, l’AGS n’aurait de toute façon pris en charge que jusqu’à la date du redressement judiciaire : ne pas faire les avenants de contrat revenait probablement à la liquidation directe de l’entreprise, puisque le trou dans la caisse se serait alors élevé proche du million.

Pour rembourser le mois de février (les quelques 190 000 € pris en charge par l’AGS), Andarta nous a confirmé que le plan de redressement judiciaire fonctionnerait sur les recettes à venir d’Ewilan, 5 Mondes, et les autres succès du studio à venir ; et peut-être une ouverture des parts de la société, actuellement détenues entièrement par sa dirigeante.

Relations avec le commanditaire Zephyr Animation

L’entreprise nous a évoqué lors de l’entretien un conflit délicat, puisqu’un quiproquo aurait éclaté sur la qualité de la série demandée. À l’origine prévue pour être une série de qualité modeste diffusée par RTL (sur Gulli ou Cartoon Network selon les sources), à l’économie, les demandes seraient finalement sorties régulièrement du cahier des charges. Par exemple, certaines techniques 3D auraient été utilisées au lieu de la 2D (alors même qu’Andarta est un studio 2D) ; des techniques surdimensionnées par rapport au budget selon Andarta. Autre exemple entendu, de 3 à 5 personnages par épisodes initialement spécifiés, cela pouvait monter régulièrement à 15. Andarta nous a expliqué qu’il s’agissait d’une situation courante dans l’animation, où le budget de certains épisodes dépassent le contrat, et où il est normalement possible de retourner à l’équilibre sur les autres épisodes suivants. Mais en n’observant aucune courbe descendante sur les coûts, Andarta aurait effectué une première alerte à l’été 2024.

D’après leur témoignage, c’est en février que le studio s’est retrouvé dans une impasse, après des propositions d’allègement, des aménagements à la marge et la recherche infructueuse de financements complémentaires auprès des collectivités. Zephyr Animation, studio également en difficulté, annonce alors à son studio prestataire Andarta qu’ils ne peuvent payer au-delà des contrats initiaux. S’en suit une recherche de prêt bancaire pour terminer la série, là aussi infructueuse de par un marché en crise. Entre Zephyr et Andarta, c’est le standby de la série jusqu’à accord. Peu après un échec des négociations, début mars, au moment de la paye de février, c’est l’arrêt de la série.

Enfin, le studio Andarta nous a fait comprendre que le litige avec le financeur est toujours en cours, le studio sollicitant Zephyr Animation financièrement, et pourrait aller de manière logique jusqu’au tribunal.

Relations avec les salariés

Le studio affirme également avoir communiqué avec les syndicats la situation, exposé l’impasse du studio lors d’une réunion de crise. Andarta y aurait soutenu le choix de sacrifier les trois mois restants de travail de Lana Longuebarbe (sur un an et demi de production) au profit de la survie de la boîte, afin de pouvoir continuer à employer les gens sur d’autres séries.

Ensuite, Andarta a indiqué avoir repris environ dix personnes de Lana Longuebarbe sur une autre de leur série, Ewilan, et avoir payé sur leur trésorerie les salariés les plus en difficulté lorsqu’ils en avaient fait la demande, et ce dès qu’ils en ont eu la possibilité, pour un montant d’environ 11 000 €. Andarta a mentionné avoir démarché d’autres studios pour la reprise des employés, notamment trois studios également basés dans les mêmes locaux qu’Andarta Pictures, à la Cartoucherie de Bourg-lès-Valence. Une vingtaine d’employés auraient ainsi retrouvé du travail, entre 4 et 5 chez Team To, entre dix et quinze sur la série Max et Lapin au Studio Ooolala, et quelques autres chez Astronautes.

Répondant aux accusations du communiqué de surmenage, Andarta n’a pas nié le caractère difficile de la série dès ses débuts, a salué le travail des équipes, tout en précisant que la conscience professionnelle de certains employés les avaient amenés à faire bien plus que demandé, trop pour rester dans des conditions de travail acceptables. Par ailleurs, la direction d’Andarta nous a précisé qu’elle s’était retrouvée plusieurs fois dans la situation délicate d’être en accord avec les demandes salariées et syndicales, sans avoir les moyens de les mettre en place. Enfin, Andarta nous a mentionné que le studio n’hésitait pas à rogner ses bénéfices et marges lorsqu’il s’agit du bien-être des employés.

La série Lana Longuebarbe, stoppée chez Andarta

Informations Résumé
Animation, Aventure ;
Format : 51 x 11 min
(ou 52 selon sources)
« Lana vient d’une longue lignée de Longbeard, tous nés pour « La Quête ». Pendant 11 ans et 364 jours, elle est restée à l’abri sur une île paisible, tandis qu’Andar, son viking de père, vivait l’aventure à travers les Dix Royaumes. Elle a attendu pour passer à l’action, mais quand l’invitation à le rejoindre n’est pas arrivée à son 12ème anniversaire, elle s’est invitée toute seule sur le drakkar paternel. C’est tête baissée que Lana a rejoint l’équipage. »
Réalisation :
Franz Kirchner
Scénario :
Baljeet Rai, Tony Mitchell, Andrew Power, Alice Prodanou
Production :
Zephyr Animation, Copernicus Studios (Canada)
Producteur exécutif :
David Sauerwein
Distribution :
Gulli en France, et APC Kids (pour l’international). Cartoon Network également cité.
Bande-annonce :
https://youtu.be/oXpUO44rh6w

En réalité, le studio Zephyr Animation pourrait bien chercher à finir la série seul avec les moyens qui lui restent. À voir les suites.

Affiche Fond d'écran Lana Longuebarbe


Une situation qui se répand dans l’animation

Andarta Pictures est loin d’être seul dans la tourmente, des coupes bien plus importantes ont par exemple eu lieu il y a un an, chez Pixar (la filiale de Disney), où 175 employés stables (soit 14 % des effectifs) avaient été licenciés, ou encore dans le groupe français Technicolor qui se séparait de 300 personnes dans le monde. En France, le studio Team To, colocataire d’Andarta à la Cartourcherie, a également échappé de peu à la liquidation en décembre dernier grâce à un rachat par le groupe italien Riva Studios. Toujours en France, nous pouvons également citer Xilam, SolidAnim Paris et Digital District qui sont également en redressement judiciaire, ainsi que RedFrog et Mikros Animation, les deux derniers étant  in extremis sauvés par le rachat. Enfin, citons o2o Studio et Cybergroup, qui viennent quant à eux de mettre définitivement la clé sous la porte, faute de repreneurs.

Une hécatombe parfaitement explicable, rappelons-le, par un contexte économique qui favorise une situation explosive. En dix ans, et malgré l’inflation, les montants des subventions publiques n’ont pas augmenté, voire ont été attaqués frontalement par les baisses successives du ministère de la culture.

Attaques sur les budgets culturels

Ces subventions publiques représentent une très large part du budget de l’animation. Par exemple, Andarta nous a précisé que France TV, diffuseur principal de la série Ewilan, participait à hauteur de 10% du montant de la série. C’est très peu. Ce pourcentage baisse depuis des années, notamment depuis la suppression par Sarkozy en 2008 de la publicité effectuée sans mesures compensatoires, qui a privé les chaînes publiques (comme France TV) de revenus essentiels. Également, la suppression de la redevance TV par Macron en 2022, taxe de 138 € pour les usagers de TV, prive les chaînes publiques de leur principal levier économique. Désormais, près de l’intégralité du budget des chaînes publiques dépend du gouvernement et du budget alloué à la culture ; budget actuellement en chute libre. Un coup tiré dans l’ambulance qui vaut déclaration de guerre au service public. Entre autres attaques en date, nous pouvons citer la suppression avortée de France 4 et le projet de fusion de l’audiovisuel public que nous évoquions ici plus longuement, et qui sera discuté à l’Assemblée Nationale le 30 juin prochain.
Rien que sur le budget 2025, c’est près de 150 000 emplois menacés dans la culture, et plusieurs millions en moins pour France TV.

« Pour 2025, par rapport au contrat d’objectif et de moyens, c’est 86 millions d’euros de moins, 51 millions dans le PLF et 35 millions par amendement. »

Delphine Ernotte, présidente du groupe France TV.

Ajoutons à la baisse des financements publics la baisse des financements privés, comme Disney et Netflix qui ont baissé leurs commandes de séries d’animation ces dernières années.

Pour pallier à la situation, les studios d’animation sont obligés de tout penser en co-production pour prétendre aux subventions de plusieurs régions, voire à l’internationale. Pour les 8 millions que coûte la saison 1 de La Quête d’Ewilan, le financement participatif n’a couvert que 270 000 € ; le financement communautaire n’est pas un modèle viable. Également, la vente des droits pour l’étranger représente une bouchée de pain en comparaison des coûts : environ 20 000 € pour la saison 1 d’Ewilan en Italie. Que ce soit du côté spectateur ou acteur public, personne ne semble souhaiter payer. Pourtant, dans ces millions que coûte la saison 1 d’Ewilan, ce sont majoritairement des salaires ; Andarta se faisait un point d’honneur à ne pas avoir de salaires en dessous d’environ 2 400 € brut, mais les syndicats du monde de l’animation ont pu y voir un objet de conflit, puisque que ces salaires n’ont augmenté qu’assez peu ces dernières années malgré une inflation mortifère.

Sous-culture, sous-séries… sous-employés ?

Au sein même de la culture et du cinéma, l’animation est parent pauvre, souvent déconsidérée dans les budgets et projets de programmes ; au profit de films ou séries live action. Seule l’animation petite enfance trouve un petit créneau de séries fast-food, ce qui conduit les studios à changer les cibles de leurs séries en fonction de leurs financeurs. Beaucoup de séries (Prince Dragon, au budget comparable) et films d’animations (Nimona) sont également possédés par les géants du streaming (Netflix, Amazon Prime, Disney+ etc), qui paient au lance-pierre les studios, et contribuent très peu au CNC, en comparaison des sorties salles au cinéma. C’est un monde où les diffuseurs sont en situation dominante et paient au rabais les productions.

Enfin, la forme économique même de la production de l’animation d’une manière générale pousse à un modèle très hiérarchique d’entreprises, où de petites équipes vont embaucher très ponctuellement des grandes masses d’intermittents techniciens, selon les commandes de projets. L’ambiance n’est pas vraiment à la coopérative autogérée de salariés en CDI. Le modèle imposé est largement diffusé, bien que certains studios solidaires tentent de palier à ce système brutal par le partage de tâches entre studios au maximum, pour qu’il y ait toujours du travail dans chaque studio quels que soient les projets obtenus.


Conclusion

Pour les lecteurs et lectrices de la communauté qui se demandent pourquoi nous vous exposons cette enquête ; c’est qu’à notre sens, les conditions de production influencent de facto les œuvres créées, leurs valeurs et idéologies ainsi que leur qualité d’une manière générale. C’est une manière pour nous de nous interroger sur comment est travaillé le matériau d’origine et de veiller au grain. Nous sommes favorables aux adaptations, à la création et à toutes sortes de réappropriation des œuvres, mais pas à n’importe quel prix ni pour n’importe quel message. La situation de la série Lana Longuebarbe, liée à un contexte économique général tendu, touche forcément, dans une moindre mesure, Ewilan.

Conséquences pour la série Ewilan

Nous avons pu contacter le collectif « La Barbe ! » pour leur demander si la situation avait pu impacter l’adaptation de Pierre Bottero en cours chez Andarta :

« La production d’Ewilan a probablement été impactée par la situation financière du studio, mais tous les efforts/investissements du studio semblent concentrés sur ce projet, depuis toujours. Ils continuent de recruter et de miser gros sur Ewilan. Quelques ex-salarié·es de Lana Longuebarbe ont été embauché·es sur Ewilan, mais iels se comptent sur les doigts d’une main, les deux projets étant dans des styles bien différents. Évidemment, nous sommes nombreux·ses à avoir l’impression que Lana Longuebarbe a été sacrifiée au profit d’Ewilan, mais nous ne pouvons pas le prouver.

Concernant les conditions de travail d’Ewilan : honnêtement, nous savons de source sûre que cette production compliquée a essuyé plusieurs départs depuis le début (notamment plusieurs burn-outs, conflits, désillusions, etc.). Les salarié·es actuel·les d’Ewilan sont a priori traité·es correctement mais cette information est à prendre avec des pincettes, car les gens qui y travaillent marchent sur des œufs. Le secteur étant en crise, les salarié·es sont assez peu expansif·ves sur leurs conditions de travail, d’autant que chacun·e vit les choses différemment. »

Collectif La Barbe

Pour la série d’animation Ewilan, il n’y a donc à notre connaissance pas de changements dans le programme : le collectif d’ex-salariés comme la direction d’Andarta nous assurant que cette série reste priorité absolue, tant sur les budgets et la qualité que sur les conditions de travail.

De son côté justement, Andarta s’est en effet dit désolé de ce qui s’est passé sur Lana Longuebarbe, et soutient que la production d’Ewilan suit son court dans de bonnes conditions, avec un engagement plein et entier du studio pour ce projet phare.

Un peu plus sur Ewilan

En effet, nous avons appris par Andarta que le studio est en pleine production en ce moment, et même sur les finitions concernant les épisodes 1 et 2 ! La série sera livrée en décembre à France TV qui la diffusera début 2026. France TV reste encore floue sur la chaîne, mais la plus indiquée serait France 4, chaîne dédiée à la jeunesse et l’animation.
La série sera également diffusée gratuitement en VOD avec le programme Okoo, sur le site de France TV. Andarta nous a indiqué être fier que cette série soit diffusée par le service public. Ewilan sera donc disponible aux côtés d’un autre grand succès d’adaptation en série animée de littérature jeunesse d’imaginaires : Tobie Lolness, duologie de Timothée de Fombelle.

La saison 1 emploie encore 70 personnes à la Cartoucherie, mais aussi dans d’autres studios prestataires, dont une douzaine de salariés à Nantes à l’Incroyable Studio, à Biarritz, et même en Belgique.

Les suites

En comprenant qu’un redressement judiciaire n’implique pas nécessairement une liquidation d’entreprise (et certainement pas à court terme), il est donc peu probable qu’un souci majeur survienne pour la saison 1 d’Ewilan, ou même pour leur série 5 Mondes, les financeurs étant au courant de la situation et renouvelant leur soutien. On peut noter que leur plan de redressement ne compte pas sur une victoire judiciaire avec Zephyr Animation, il faudrait un concours de circonstances plus néfaste, comme l’échec d’Ewilan (peu probable) pour que le studio soit en danger.
Les prochains mois seront décisifs pour le studio, selon les décisions du mandataire de justice, qui observe actuellement le studio pour six semaines de délais incompressibles. Les audiences dans les différents tribunaux décideront des suites, notamment celle prévue au mois de juillet au tribunal de commerce pour demander la sortie du redressement. Enfin, même dans le cas extrême d’une liquidation, le rachat du studio par des tiers serait toujours possible.

Le parcours pour une saison 2 d’Ewilan s’annonce semé d’embûches plus grandes encore que pour la S1.



Sources :

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Sources :

Nos articles en lien avec le sujet et la série d’animation

Remerciements

Merci au collectif La Barbe pour leurs prises de paroles, les précisions et réponses à nos questions.
Merci à Sophie Saget, d’Andarta Pictures, d’avoir répondu à nos questions malgré une situation tendue.


Suite du Dossier

ÉDIT (16 juin 2025) : Ajout de l’encart avec les infos de l’article Médiapart

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4 Commentaires sur “Andarta Pictures : Redressement judiciaire et licenciement massif”

  1. L’entrée du site marchombre.fr dans le journalisme ? En tout cas très beau travail, l’état de l’animation en France est pas joyeux.

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