Harmonie, liberté, complétude : Ursula K. Le Guin et la liberté comme responsabilité


Introduction

Ursula K. Le Guin est une autrice de fantasy et de science-fiction américaine, connue pour son engagement assumé envers des politiques très progressistes : l’anarchisme, en particulier, occupe une place majeure dans ses œuvres. Ses romans The Dispossessed (Les Dépossédés), Earthsea (Terremer) ou encore Always Coming Home (La Vallée de l’Éternel Retour) s’inscrivent dans une vaste bibliographie ou harmonie et liberté sont des maîtres-mots.

Le Guin a toujours écrit des personnages profondément attachés à leur communauté et à la nécessité de faire ce qui est bon. Mais ces personnages, souvent très sages, ont aussi une grande soif de liberté. D’aucuns diraient que la liberté ne s’articule pas avec la communauté, la société ; or, toute l’œuvre d’Ursula K. Le Guin contribue à défaire cette croyance répandue. Quel parallèle nous est-il possible de bâtir avec la liberté telle qu’elle est présentée chez Pierre Bottero ?

Harmonie, Liberté, Complétude. Ursula K. Le Guin et la liberté comme responsabilité

La liberté chez Le Guin est axée sur le collectif, c’est-à-dire que les notions d’équilibre et d’harmonie, très présentes, n’existent qu’à travers la communauté. Puisque dans la philosophie de Le Guin, tout le vivant est interconnecté, et toute chose est en relation avec toute autre chose, il n’est pas possible d’être tout à fait isolé. Ceux qui se coupent du monde, des affaires domestiques, des tâches dites subalternes, ne deviennent pas des sages. Au contraire, ils s’enfoncent dans la rigidité et l’ignorance en perdant une qualité fondamentale de l’être humain : la capacité d’écoute. Ceci est mis en avant très clairement dans les trois derniers tomes de Terremer, où il est démontré que les sorciers, s’étant mis en retrait du monde et particulièrement des femmes, ont perdu le sens de ce qui est bon. En dehors de la communauté, du collectif, rien ne peut croître, et même Ogion, un personnage d’ermite qui ne semble jamais dire un mot, fait partie d’une communauté : les gens viennent lui demander des sorts, ou les œufs de ses poules.

Au travers de la communauté, et du rôle de chacun en son sein, Le Guin ne cherche pas à établir un ordre rigide et stérile. Au contraire, elle nous rappelle à notre responsabilité envers nous-mêmes et envers autrui, une responsabilité toujours en mouvement selon les circonstances. Il n’y a qu’ainsi qu’un individu puisse être tout à fait libre. Comme le rappelle la philosophie grecque, il y a une différence entre « licence » et « liberté » : la première, dénuée de toute contrainte, finira forcément par être égoïste voire néfaste, alors que la seconde s’appuie sur un équilibre intérieur profond que l’on pourrait nommer « autonomie ». Un être autonome ne reçoit pas plus d’ordres qu’il n’en donne : sa liberté ne repose pas sur une conquête, mais sur un équilibre, une harmonie avec le monde dont il ou elle fait partie.

Il apparaît donc que la conception de la liberté chez Le Guin inclut d’autres concepts : la responsabilité, l’autonomie, le sens de la communauté. En découle également une profonde bonté. L’amour et le soin des autres sont comme une extension de la liberté Le Guinesque, ils vont de soi. Comprendre et écouter l’autre, dans toute sa différence, est la prérogative de tout être libre.

Ainsi, Le Guin dépeint des personnages et des sociétés où le soin d’autrui et l’amour sont partie intégrante de la liberté, voire la précèdent, comme si de ces principes découlait une harmonie sociale qui, elle seule, permet une véritable liberté. On comprend donc qu’à certains égards, cette liberté vient avec des limites. Pour Le Guin, il faut accepter les inévitables limites de l’espèce humaine : la mort, la violence toujours possible, la mésentente… Elle accepte, en quelque sorte, que la perfection n’existe pas ; pensée anarchiste s’il en est, elle nous propose de tendre toujours plus vers du meilleur tout en admettant que l’idéal ne sera jamais atteint. Une utopie est un non-lieu, un idéal condamné a rester une idée.
Dans Terremer encore, Le Guin nous donne un exemple des conséquences de ne pas respecter l’inévitable : les sorciers y ont défié la mort, et ainsi ébranlé l’harmonie du monde, y compris du monde naturel. Leur peur les a guidés et les a trompés. La mort est finalement présentée comme un voyage, un passage, tout comme dans Le Pacte des Marchombres. Elle est l’ultime liberté, et la condition sine qua non qui nous permet d’être libre. Notre fugacité, notre fragilité, voilà ce qui nous rend suffisamment légers et légères pour arpenter le monde en marchombres.

Nous pourrions finir sur la notion de taoïsme chez Le Guin, et plus encore chez les marchombres. Mais je pense que ce thème mériterait un article à part entière. Aussi je conclurai ce petit exercice théorique sur ces maîtres-mots :

Harmonie, liberté, complétude.

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