Un texte inédit
Voici un texte inédit de Pierre Bottero, déniché dans les méandres d’Internet…
EDIT : Ce texte provient de l’édition originale Grand Format de l’Île du Destin (2003).
L’auteur nous parle ici de son processus de création de personnages.
Pierre Bottero semble faire partie à certains égards de ces écrivains qui se réclament de « l’inspiration ». Enfin, disons que sans aller jusqu’aux muses antiques, il souhaite plus modestement et simplement casser l’idée de l’écrivain démiurge, totalement architecte de son œuvre. Comme ses personnages, il ne se décrit pas comme omniscient. Mais plutôt que de paraphraser le Maître, je vous laisse en sa regrettée compagnie…
L’auteur et ses personnages : scènes de ménage
Un auteur qui n’invente pas…
« Que diriez-vous d’une confidence ? Une vraie confidence s’appuyant sur une découverte que je peux qualifier d’importante puisque, lorsque je l’ai faite il y a peu de temps, elle a illuminé ma journée…
Les auteurs n’inventent pas les personnages !
Non, ils ne les inventent pas, pas plus qu’ils ne les créent ou qu’ils ne les conçoivent !
La vérité, méconnue, est bien plus étrange… Les auteurs, le plus souvent à leur insu, sont connectés à un univers que l’on pourrait considérer comme magique et qui contient une infinité de caractères capables de s’adapter à la totalité des histoires imaginables, et croyez-moi, cela fait un bon nombre de personnages ! L’auteur en quête d’inspiration croit faire appel à son imagination. Erreur ! L’appel est détourné vers l’univers susnommé, la requête analysée et les personnages intéressés se portent volontaires… ou s’abstiennent.
Baignant dans un sentiment béat qui est, il faut l’avouer, parfois proche de l’autosatisfaction, l’auteur ne s’est pas rendu compte de la supercherie. Un candidat a poussé la porte et, heureux d’avoir mis la main, ou la plume, dessus, l’auteur croit avoir affaire à un être impalpable directement jailli de son esprit et sur lequel il a tout pouvoir. Deuxième erreur ! Les personnages secondaires sont assez discrets (bien que…), ils se plient volontiers aux désirs de l’auteur et, ne faisant qu’un bref passage dans l’histoire, jouent rarement les rebelles, mais avec les personnages importants, c’est une tout autre histoire ; ils n’en font qu’à leur tête.
L’auteur, qui se voyait lancé sur une trajectoire facile avec aux commandes son imagination et elle seule,
se retrouve englué dans une négociation sans fin avec son personnage, négociation qui devient parfois un véritable bourbier, tant les deux protagonistes ont des vues divergentes sur l’histoire de l’un et l’avenir de l’autre.
L’auteur devient donc diplomate, ce qui ne signifie pas qu’il cède. Comme tout bon diplomate, il ruse, louvoie, trompe. Comme tout bon diplomate, il peut même tricher, mentir, pour parvenir à ses fins. La plupart du temps, la situation finale résulte d’un compromis ; l’auteur, s’il n’est pas satisfait, ayant toujours la possibilité de déchirer sa page et de recommencer son histoire avec un autre personnage. Avec lequel il aura autant de problèmes.
Une explication ne prenant son sens qu’accompagnée d’un exemple parlant, je vous livre le détail des événements qui m’ont opposé à certains de mes personnages.
Bjorn
Bjorn est le cas typique du bonhomme qui, convié à l’apéritif, s’invite pour le repas, passe la nuit à la maison, reste pour les vacances et finit par s’incruster jusqu’à faire partie de la famille. Lorsque Ewilan bascule pour la première fois en Gwendalavir, un chevalier est là, aux prises avec un Ts’lich. Je souhaitais pour cette scène un personnage anonyme qui ne servirait qu’à mettre en évidence l’étrangeté du monde dans lequel mon héroïne venait de plonger. Il était d’ailleurs sacrifié d’avance puisque incapable de survivre à un affrontement contre un guerrier lézard. La page à peine tournée, j’oublie le chevalier et me consacre à mon histoire dont il ne fait pas partie. Ewilan arrive à Al-Vor, à la recherche de Duom Nil’ Erg l’analyste. Il est hors de question qu’elle le trouve trop facilement, ce serait ridicule, et elle doit donc se renseigner sur l’endroit où il réside.
Je décrète qu’elle va s’adresser à un groupe d’Alaviriens. Il ne s’agit que d’un épisode mineur destiné à donner de la cohérence et de l’épaisseur à mon récit, un passage transitoire. Or, et je vous certifie que je suis sincère, je découvre avec stupeur que l’un des hommes est le chevalier des premières pages, qu’il a survécu à son combat contre le Ts’lich et qu’il se trouve désormais paré d’un nom. Le retour de Bjorn n’était pas prémédité, du moins par moi, mais puisqu’il est là je décide qu’avant de disparaître, pour de bon cette fois, il va me servir à mettre en relief le personnage d’Edwin.
Advient donc la rencontre »musclée » entre les deux guerriers qui scelle le statut d’invincibilité d’Edwin. Bjorn, écrasé par son adversaire, peut retourner dans les limbes de son univers d’origine. Eh bien non. Il en décide autrement et poursuit l’aventure aux côtés d’Ewilan, prenant peu à peu de la densité et de la place. J’avoue qu’alors, débordé et un peu vexé, je choisis de le faire mourir au début du tome II. La mort est une sentence difficile à prononcer pour un auteur et lourde de conséquences, mais dans le cas de Bjorn elle me semblait nécessaire.
J’écris la scène de combat durant laquelle il va perdre la vie, mais il se débrouille pour survivre, se liant de manière forte à Ewilan et Salim. Il s’est fait sa place ! J’admets donc que le chevalier au grand cœur est devenu un personnage essentiel de la Quête et je le laisse s’exprimer, me contentant de le guider pour qu’il offre le meilleur de lui-même. Et c’est ce qu’il fait. Il occupe un créneau qui était libre, guerrier redoutable mais capable de la plus grande naïveté, bien plus humain qu’Edwin, débordant de bons sentiments et plaçant l’amitié et la loyauté au-dessus de toutes les autres qualités.
Ne déduisez pas de ce que vous venez de lire qu’un auteur est un pantin aux mains des personnages qu’il a inventés, mais tordez le cou à l’idée qui veut qu’il soit omniscient et omnipotent. Il crée un monde et plus ce monde se complexifie, plus il lui échappe pour obéir à des règles qui lui sont propres.
Et qu’y a-t-il de plus complexe que le caractère d’un personnage ?
Edwin
Le cas d’Edwin est différent de celui de Bjorn. Je le conçois dès le début comme un des piliers de la Quête et je définis soigneusement son caractère et ses capacités. Edwin est un invincible guerrier au corps et à l’âme trempés dans l’acier. Il est la lame qui ouvrira le passage à Ewilan, le chef dont a besoin la compagnie.
Il joue parfaitement son rôle, mais dès le deuxième tome des problèmes imprévus surviennent. Des problèmes relationnels. Je crois avoir suffisamment insisté sur le fait qu’au cours d’une histoire les personnages s’étoffent, se densifient, se complexifient, parfois de manière autonome. C’est le cas d’Ewilan.
J’avais créé Edwin rigide et tout-puissant, je n’avais pas prévu que ce caractère deviendrait insupportable à l’héroïne de la Quête, et par là à moi-même. Edwin est si sûr de lui qu’il en devient arrogant, presque despotique. La tension monte avec Ewilan, éprise d’indépendance, jusqu’à ce qu’éclate une scène que je n’avais absolument pas prévue : deux des personnages les plus importants de l’histoire règlent leurs comptes !
La suffisance d’Edwin est douchée, il gagne en humanité, ce qui ouvre les portes à une possible relation privilégiée avec Ellana.
Il ne s’agit pas là de l’évolution inattendue d’un personnage, mais d’une interaction rendue inévitable par le développement de chaque caractère.
Ewilan et Salim
Tous les personnages ne se comportent pas comme Bjorn et Edwin. Ewilan et Salim restent »fiables » tout au long de la Quête et je n’ai pas de mauvaises surprises avec eux. Toutefois, les multiples aventures qu’ils vivent, les décisions que je leur fais prendre, les paroles qu’ils prononcent, forgent leur tempérament.
Au fil des pages, j’ai de moins en moins de prise sur eux. Ils réagissent en fonction de ce qu’ils sont et je ne peux exiger d’eux qu’ils renient une personnalité que j’ai contribué à construire. Quand il s’agit de personnages cruciaux, il importe de leur donner, dès le début de l’histoire, un élan le plus précis possible sans toutefois se leurrer : ils iront où ils voudront ! Ne l’oublions pas, les auteurs n’inventent pas les personnages, ils les invitent simplement dans leurs livres… »
Pierre Bottero
Sources :
- L’île du Destin, Rageot, 2003 ; Isbn : 2700228144/6
Bonjour, le texte que vous présentez est présent en intégralité dans une édition de L’Ile du destin. C’est une édition de Rageot-éditeur de 2003.
J’espère que ça vous aidera à trouver une référence plus précise à ce texte.
Ah, et à la fin est précisé : Making-of réalisé en collaboration avec Claudine Bottero.
Merci beaucoup !
J’ai plus qu’à choper les sources de bases =)
(Dès que je trouve l’édition en question en fait)