La Poésie Marchombre


Aujourd’hui, je vous propose un plongeon dans la poésie marchombre. Tout d’abord avec la lecture de l’ensemble des textes poétiques du Cycle (27 tercets s’il n’y a pas d’oublis !). Nous nous essayerons ensuite à la formalisation des codes qui la régissent. Et enfin, nous ouvrirons cet article sur la réappropriation de la communauté.


SOMMAIRE
I – Les poésies marchombres du livre
A – Dans le Cycle d’Ewilan
B – Dans Ellana
C – Dans le Ellana, l’Envol
D – Dans Ellana, la Prophétie
II – Les codes de la poésie marchombre
A – Le haïku
B – La poésie marchombre
C – Autres remarques
III – Communauté


Les poésies du livre

=> Sauter les poésies pour aller directement à l’analyse.

La poésie marchombre dans Le Cycle d’Ewilan

A – La Quête d’Ewilan

L’âme des marchombres réside tout entière dans leur poésie… qu’ils sont les seuls à réellement comprendre.
Maître Carboist, Mémoires du septième cercle

La nuit amie
Sur les toits
Qui ondulent
Ellundril Chariakin, chevaucheuse de brume
Souffle d’une lame dans la nuit
Danger qui rôde
Comme une onde de plaisir
Ellundril Chariakin, chevaucheuse de brume
Neige sur flamme
Roseau dans le vent
Marchombre
Ellundril Chariakin, chevaucheuse de brume
Ombre de lune,
Esquive de plume,
Amour absolu.
Ellundril Chariakin, chevaucheuse de brume

B – Les Mondes d’Ewilan

Lune ronde
Flamme noire
Murmure du vent sur les toits.
Ellundril Chariakin, chevaucheuse de brume
Envol irrésistible
Lame nue au tranchant ardent
Promesse.
Ellana
Crocs brillants
Reflet de lune exubérant
Noir retour.
Salim
Balance des pouvoirs
Reflet des marchombres
Solitude.
Ellundril Chariakin
Certitudes qui frissonnent
Cœurs qui résonnent
Curiosité
Ellundril Chariakin

Les poésies marchombres d’Ellana (T1)

« Celui qui comprend la poésie des marchombres a accès à leur âme. Et peut à son tour arpenter la voie. » E – P203.

Élan de vie
Murs oubliés
Libre
Jilano (E – P203)

« La poésie marchombre est faite pour être écrite. Sur du papier, des murs ou sur le vent. Énoncée, elle perd sa force et sa pureté. » E – P207

Élan infini, devenu humain
Émoi devant le parfait équilibre
Larme.
Ellana (E – P253)

« Il ne dit rien. Gage de pureté, la poésie marchombre s’enlaçait aux mots tracés, jamais aux mots prononcés. » E – P253

Force lumineuse et bienveillante
Gratitude infinie pour celui qui guide
Respect.
Ellana (E – P314)

Crête de sable à perte de vue
Regards entrelacés
Éternité.
Nillem (E – P344)

« Ellana sourit. C’était la première fois que Nillem se hasardait à la poésie marchombre devant elle. Son propre poème jaillit sans qu’elle ait besoin d’y réfléchir ».

Sculpture d’ocre dans le désert
Partage épuré.
Éphémère.
Ellana (E – P344)

Beauté du geste libre
Supériorité de l’esprit sur la force
Rire.
Ellundril Chariakin (E – P425 – Texte inédit « Voyage » in « Pour continuer à Arpenter la Voie« )

Limites sans cesse repoussées
Plaisir infini
Écriture.
Pierre Bottero (E – P426 – Texte inédit « Voyage » in « Pour continuer à Arpenter la Voie« )

Les poésies marchombres d’Ellana, l’Envol (T2)

Flamme intérieure
Qui illumine
Et protège.
Jilano (EE – P28)
Comme un vent irrésistible
La vie suit ses courbes invisibles et file
Vers l’avant.
Jilano (EE – P46)
Contact intime et bouleversant
Corps transcendé qui fusionne
Avec l’âme du rocher.
Ellana (EE – P97)
Un chant.
Comme un appel hypnotique
Qui tourbillonne.
Jilano (EE – P174)
La douleur infinie de celui qui reste,
Comme un pâle reflet de l’infini voyage
Qui attend celui qui part.
Ellana (EE – P185)
Nuages qui se délitent
Dans un ciel balayé par le vent
Solitude.
Ellana (EE – P198)
La voie de l’ombre
Et du silence
Vers la lumière.
Ellana (EE – P352)

Les poésies marchombres d’Ellana, la Prophétie (T3)

Un corps en harmonie
Avec le monde et l’esprit
Équilibrés.
Jilano (EP – P15)
Infinie et lumineuse,
La voie du marchombre se déroule.
En soi.
Salim (EP – P92)
Racines et frondaisons du monde
Comme celles de l’ouverture et de l’harmonie
En soi.
Salim (EP – P122)
Une direction, tracée par un maître pour son élève
Un souffle liant l’élève à son maître
Le Vent et la Voie.
Ellana (EP – P220)

 


Les codes de la poésie marchombre

Comment se construit la poésie marchombre ? Fort de toutes ces poésies, nous allons pouvoir les décortiquer un peu…

Le haïku

ORCUSNF : Vous reconnaissez aussi l’influence du haïku ?
PB : Oui, je m’en suis inspiré. J’ai cherché une forme de pureté et de simplicité, une harmonie poétique en somme.

Interview pour Fantastinet (2007)

La poésie marchombre est visiblement inspirée des haïkus japonais dont les règles classiques strictes sont : un poème qui saisit un instant, constitué d’une strophe de trois vers de respectivement 5, 7 et 5 pieds (nombre de syllabes, moyennant quelques règles spécifiques), un mot de saison (mot en lien avec le printemps, l’été, l’automne ou l’hiver), une césure et des thématiques plutôt contemplatives.

«  Un vieil étang
Une grenouille qui plonge,
Le bruit de l’eau.  »

Matsuo Basho

Les poètes jouent avec les codes et les brisent allègrement, cet aspect de rupture permanente se retrouvera aussi dans la poésie marchombre. En effet, nous allons voir que certaines structures reviennent régulièrement, mais également que la poésie marchombre s’en affranchit à de nombreux moments.

La poésie marchombre

Pierre Bottero dévie en plusieurs point le haïku. Nous allons donc pouvoir voir quels sont les aspects gardés et les aspects changés, au travers de trois prismes de structures récurrentes : le contexte, qui parle de ce qui entoure le poème (le lieu, le type d’expression, le destinataire etc…), les thèmes (le contenu, les sujets, etc…) et enfin, le style (les techniques d’écriture, la forme, la rythmique, les figures de style,  la versification etc…).

Les observations qui vont suivre forment des récurrences, ou « codes », mais elles ne sont pas immuables. L’une des clés du marchombre étant précisément la liberté, sa poésie n’est pas fixée dans la rigidité des récurrences qu’elle propose.

Les codes contextuels

ORCUSNF : Dans Ellana, vous dites que la poésie marchombre ne peut exister que sur papier, mais coucher un poème sur le papier, n’est-il pas en réalité l’enfermer ?
PB : L’idéal est l’écrit éphémère, celui sur le sable par exemple. Je ne supporte pas d’entendre un poème, je suis beaucoup plus sensible en le lisant, car l’orateur joue le rôle d’un filtre entre le poème et l’auditeur.

Interview pour Fantastinet (2007)

  • (Code contextuel) : Les haïkus peuvent être traditionnellement lus à voix haute, mais la poésie marchombre est faite pour être écrite et non dite. :
    – « La poésie marchombre est faite pour être écrite. Sur du papier, des murs ou sur le vent. Énoncée, elle perd sa force et sa pureté. » E – P207
    « Il ne dit rien. Gage de pureté, la poésie marchombre s’enlaçait aux mots tracés, jamais aux mots prononcés. » E – P253
  • (Code contextuel) : La poésie marchombre est également plus éphémère, dépendante de l’instant et du support.
  • (Code contextuel) : La poésie marchombre est un mouvement en elle-même (l’action d’écrire est souvent décrite par des verbes de mouvement, et même parfois imagée comme écrite sur le vent lui-même), qui agit sur le monde et sert notamment à transmettre une émotion.

Les codes thématiques

  • (Code thématique) : À de très rares exceptions près (mais importantes), la poésie marchombre capte un mouvement avant de capter l’instant. Les écrivains sont également souvent acteurs dans l’action transcrite par leurs poèmes.
    (Vocabulaire du mouvement : “Rôder, Esquive, Envol, Retour, Élan (x2), Force, guide, partage, geste, repousser, (protège), vent (∞), suivre, vers (x3), fusionne, tourbillonne, voyage, partir, déliter, balayer, tracer, souffle (x2), lier”. Ou même “Frondaison”.)
    Un mouvement spécifique revient régulièrement ; celui placé dans l’imaginaire du mouvement circulaire, (les “courbes”, les “ondes”, les éléments qui se “déroulent”, les “tourbillons”, et les spirales notamment…).
  • (Code thématique) : Bien qu’il y ait parfois des aspects contemplatifs (deux marchombres observant le paysage au sommet d’une tour…), c’est ce que l’instant produit comme émotions (dont l’étymologie est “movere”, qui a donné aussi mouvoir/émouvoir) chez l’énonciateur que la poésie va capter (et pas seulement le paysage).
    La poésie marchombre est donc également plus introspective que le haïku (ce dernier étant plus descriptif).

    (Vocabulaire introspectif ; voc des émotions et sentiments :Certitudes qui frissonnent, cœur qui résonnent, émoi, Gratitude, bouleversant, plaisir, douleur, Solitude (x2), Larme, Respect, Rire”)
  • (Code thématique) : La présence ponctuelle de maître-mots ou concepts forts (“Harmonie, Ouverture, Respect, Solitude, Liberté, Équilibre, la voie”…)

Les codes stylistiques

  • (Codes stylistiques) : La forme est beaucoup plus souple, la césure revient régulièrement mais pas le nombre de syllabes ou le mot de saison. L’équilibre des vers est également chamboulé, le troisième vers étant régulièrement composé d’un seul mot. Seule la strophe de trois vers est une règle immuable.
  • (Code stylistique) : Régulièrement, on peut observer deux idées dans les deux premiers vers et leur synthèse après la césure dans le troisième.

Autres remarques :

Une double contrainte

La poésie marchombre danse entre deux autres contraintes considérées comme paradoxales. Celle d’être une ouverture pure, une mise à nu du cœur et de sa vulnérabilité, et celle, autre, d’être un brin mystique/cryptique, ou du moins inaccessible aux non initiés. En effet, les personnes qui n’ont pas connaissance des codes qui la définissent, des valeurs marchombres et des définitions des concepts forts / maîtres-mots qui le traversent, s’en retrouveront exclus.

« Celui qui comprend la poésie des marchombres a accès à leur âme. Et peut à son tour arpenter la voie. »
E – P203.

Les poèmes en rupture

Les poèmes transgressant le plus les codes sont le plus souvent situés avant Le Pacte (et donc avant que Pierre Bottero n’en fixe les règles ?). En effet, les premiers poèmes marchombres apparaissent bien avant Le Pacte, dans les épigraphes (en-têtes de chapitres) du cycle d’Ewilan. Il serait intéressant, dans une perspective de génétique textuelle, d’accéder aux brouillons, afin de voir si c’est cette nécessité de faire court pour les épigraphes et d’en faire pour chaque chapitre qui a donné naissance à la poésie marchombre.
Également, l’on peut observer une légère entorse à l’omniprésence du mouvement dans les poésies de La Prophétie (lors de la remise en question de certains aspects marchombres), le troisième tome étant plus axé sur le lien que sur le mouvement (nous y reviendrons dans un futur article ?). Mais le T3 ne proposant que quatre poésies, l’interprétation est difficile.

Dans L’Envol, il est intéressant de noter que Nillem se ‘hasarde’ à la poésie marchombre là où Ellana trace ses mots “sans y réfléchir”. Cette dernière lui répond d’ailleurs avec une valeur contradictoire : l’éphémère plutôt que l’éternité, et le mouvement par le “partage épuré”, plutôt que l’état de fait des “regards entrelacés”.

Une poésie libre

La poésie marchombre est aussi une poésie du spontanée, qui sort des entrailles une émotion souvent difficile à formaliser en langage courant.
Au-delà de ses ruptures, il serait dommage de la réduire à ses codes récurrents ;  à l’image des marchombres, elle reste libre.

Les chants marchombres

Un second imaginaire poétique vient se calquer chez les marchombres, plus oral cette fois, l’idée du chant. On en connaît deux, sans que l’on sache si ce chiffre est exhaustif ; le chant qui sert à l’immobilisation des âmes (communément appelé le chant marchombre), Ellana l’utilisera également pour entraîner quarante chevaux à sa suite. Et le chant de l’acier, qu’Ellundril Chariakin transmet à Ellana lors de son séjour dans les geôles de la guilde.
L’expression poétique chez le marchombre ne semble donc pas se réduire aux tercets écrits.


La communauté

Très nombreuses sont les personnes à avoir partagé leurs poésies marchombres sur internet :

On s’aperçoit vite que la communauté s’est réapproprié pleinement le concept pour faire sienne la poésie marchombre, respectant certains patterns récurrents et s’affranchissant librement d’autres.

Au-delà d’internet, vous trouverez quelques poèmes IRLs, tracés sur les murs, les rochers, le sable, ou encore sur les départs de stop… Et qui sait, si vous savez les lire, sur le vent ?

Appréhender les étoilesVent dans les cheveux Ouverture
Merci à Maui pour sa poésie et sa photo =)

 

Merci à tous.tes les relecteur.trices.

4 Commentaires sur “La Poésie Marchombre”

  1. Merci pour ce site et merci pour cet article.
    Pour ma part , je n’ai jamais osé tenter d’écrire une poésie marchombre bien consciente que si mon âme pourrait en écrire une mon cerveau la gâcherai totalement.
    Cela ne m’empêche pas de féliciter et d’envier ceux qui se sont lancés, heureuse que d’autres fassent perdurer ses poèmes porteur de d’harmonie et de liberté.
    Quand à moi, j’emprunte la voie à pas hésitants, à ma toute petite échèle.

  2. Élan de l’Âme inspirée
    Cerveau qui traduit et trébuche
    Écrire, un chemin à embûches

    Écrire « sans réfléchir » peut aider à laisser son cerveau à sa place quand l’âme veut exprimer.
    Je te souhaite de trouver la force de surpasser l’auto-jugement que fait ton cerveau sur toi même pour laisser libre court à tes pensées.

    Force et Bonne continuation

    1. Derrière ce message cryptique, je crois déceler la critique… Mais tu m’auras mal lu il me semble ^^ Je relève justement dans cet extrait le positionnement de Bottero qui place l’antagoniste (Nillem) dans la rigidité et dans l’essai hasardeux, là où Ellana écrit « sans réfléchir » ; si ton message visait à critiquer la démarche d’analyse de cet article en se basant sur le Pacte, il me semble un peu hors de propos ; la réponse du savant et du poète sont toutes deux complémentaires, il me paraît évident que je ne m’embarrasse pas de tous ces codes et analyse quand mon esprit vagabonde à la poésie marchombre 😉 La réflexion est plus une matière qui nourrie en arrière-plan qu’une contrainte !
      Dans les interviews déjantées de Jack Maldosh, Ellana est présentée comme une universitaire en ethnologie et philosophie par ailleurs. ça vaut ce que ça vaut mais ça dit je pense l’importance qu’accordait Pierre à la réponse du savant.
      Pour la poésie marchombre, ne nous perdons pas dans une poésie spiritualiste, ésotérique, fade et superficielle, ni dans l’écueil inverse, la poésie pamphlétaire. Laissons ça à d’autres formes ^^. Ou alors, n’appelons pas ça de la poésie marchombre, et acceptons de s’en éloigner, c’est tout aussi bien de savoir en quoi et pourquoi on s’éloigne des livres. C’est une forme d’Envol.

      1. Je pense que Robin répondait plus à Anouchka.

        Sinon j’ajouterai à l’analyse qu’à mon avis, en plus des haïkus japonais, Bottero emprunte aussi surement à des poètes surréalistes comme Eluard ou Bonnefoy.

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