Qui n’a pas entendu parler d’Arcane ? La série du studio d’animation français Fortiche, financée par Riot Games et son iconique jeu League Of Legends, a tout de la série d’animation la plus ambitieuse de tous les temps. Un scénario démesuré, des budgets artistiques astronomiques, une palette de personnages gigantesque et même une recherche de profondeur thématique et politique. La série vendait du rêve, et promettait d’être le chef-d’œuvre magistral de la décennie ; après quelques mois de recul, voici venu le temps du bilan.
Résumé
La ville de Piltover est scindée par un apartheid violent, entre la riche Haute-Ville des marchands et savants, et Zaun, où sont relégués les pauvres et les marginaux.
Lors d’un cambriolage, Vi, Jinx et d’autres enfants de Zaun mettent la main sur une technologie au centre des débats et des tensions. Les rafles et violences policières s’intensifient, Zaun est au bord de la révolte, malgré des luttes intestines virulentes sur la stratégie à adopter. Lors d’un affrontement avec Silco, révolutionnaire autant que parrain de la drogue, Vi et Jinx se retrouvent seules survivantes d’une explosion, dont Jinx devra vivre avec le traumatisme de la responsabilité.
Trois raisons de regarder Arcane Saison 1
(sans spoilers)
1 – De l’animation comme vous n’en n’avez jamais vue
Arcane, c’est une esthétique à couper le souffle, un rythme qui pulse à la vitesse des battements du cœur. L’action est coups de poing, mais ses moments plus psychologiques ou contemplatifs savent prendre leur temps, nous donnant à voir la ville et les personnages sous mille facettes.
Arcane est conceptualisée avec un patchwork inédit de techniques, d’animation en 2D mais aussi en 3D. En termes de mouvement, le détail est au rendez-vous : voir des personnages en course-poursuite est un pur bonheur, on y ressent chaque foulée, chaque erreur aussi, dans tout ce que le mouvement peut avoir de saccadé et de contre-coups. Plutôt que d’être réaliste, l’animation cherche à montrer une richesse corporelle pour ses personnages, où chaque mimique est vectrice d’émotions ou d’informations. Les visages d’Arcane, toujours complexes et mouvants, ne laissent pas impassibles.
C’est avec plaisir que certains passages de la série sont altérés par des illustrations animées n’ayant pas de matérialité immédiate avec la scène en cours, une esthétique mélangeant le punk et l’imaginaire culturel de la banlieue.
Arcane a mis près de 5 ans de développement dont 3 uniquement dédiés à la production. Ce temps passé par le petit studio d’animation français Fortiche se ressent à chaque seconde. Une série épaulée par des artistes son et des musiciens éclectiques d’un grand talent, qui ont su y intégrer des musiques iconiques qui resteront dans les mémoires bien au-delà de la série.
2 – L’art du worldbuilding
Les décors sont de véritables concept arts animés, ce qui donne un aspect peinture, avec une profondeur à tous les instants. Ces concept arts steampunk nous révèlent nombre d’informations sur l’univers, les technologies utilisées, le type d’architecture, mais aussi les découpages géographiques de la ville, Piltover. Arcane nous présente une ville en plein essor industriel, aux inégalités criantes et des personnages de tous horizons. Un statu quo règne sur la lutte des classes en cours entre la Basse-Ville (the Undercity, quartier pauvre séparé du reste par une rivière) et le quartier aisé de la ville.
Au détour des fresques, on découvre des cultures, celles bourgeoises de Piltover, comme celles underground des quartiers pauvres, où la part belle est faite au street art.
Les amateurs du jeu League Of Legends retrouveront la genèse de nombreux personnages iconiques du jeu vidéo, ainsi que de nombreux autres clins d’œil, le tout en restant parfaitement accessible aux néophytes découvrant tout juste l’univers.
3 – Un scénario d’une densité rare
Le fait de ne pas être une adaptation a probablement libéré beaucoup les créateurs, qui ont pu créer un scénario calibré spécifiquement pour le format de série animée. Jamais l’intrigue ne souffle de temps mort, et propose des réflexions sur un ensemble thématique gigantesque, allant du rapport à la technologie aux relations familiales, en passant par les violences policières, l’amour, la lutte des classes, etc…
La troisième vraie grande réussite d’Arcane, c’est les relations. De la justesse, de la finesse et de la cohérence se dégagent des interactions entre les personnages de cette palette haute en couleur, où chacun a son vécu et ses aspirations propres.

Arcane, c’est une série qui parle autant politique que psychologie, que relations entre sœurs, parents et d’amour. D’abandon aussi. La série s’attelle à des thématiques aussi complexes que les traumatismes d’enfance et ce qu’ils génèrent à l’âge adulte.
Enfin, la part belle est faite aux relations entre femmes, avec par exemple la relation Vi – Jinx, deux sœurs qui s’aiment autant qu’elles se détestent, avec la romance lesbienne de Vi et (no spoils), ou enfin avec les relations conflictuelles de Sevika avec Jinx et Vi.
Critique de la saison 2 : espoirs déçus
————— (full spoilers)
Sur les premiers épisodes de la saison 2 : l’utopie de Viktor
Lorsque Jayce tente d’assassiner Viktor, nombreuses ont été les critiques sur Internet. Jayce est en effet ce personnage bourrin jusqu’au-boutiste qui génère de l’antipathie. Pourtant, il a simplement suivi la promesse qu’il a faite à Viktor de détruire l’Hextech dans la S1. Également, n’oublions pas que lui, Ekko et Heimerdinger ont vu le revers de la médaille de l’Hextech (ou Arcane), qui corrompt peu a peu tout.
Pour moi, le propos d’Arcane se rapproche purement de la science-fiction : la technologie est dangereuse dans ce contexte de production, surtout entre de mauvaises mains.
L’utopie de Viktor n’en est pas une. C’est un coup de peinture ou un pansement sur les plaies. En effet, leur “utopie” pacifique ne règle absolument pas la question de l’apartheid de Piltover, de sa société de classes. Derrière le miracle, c’est de la poudre vouée à l’échec (d’où l’imaginaire sectaire christianique qui entoure Viktor) ; et Jayce ne fait que mettre fin à ça. C’est une direction inattendue de la série que de traiter de ce sujet de récupération de la lutte et de la pauvreté à des fins personnelles ; j’ai trouvé cette direction très intéressante.
La vraie utopie, le vrai modèle de société que veut nous présenter la série, serait plutôt à chercher du côté d’Ekko et des Feux Volants : une vie en autogestion, d’accueil et qui reste lucide sur le monde, qui continue un rapport de résistance farouche avec les dominants de Piltover au moins autant qu’avec les mafias de Zaun.
J’aurais tellement aimé en voir plus des Feux Volants, et c’est sur cet équilibrage que va ma toute première (mais légère) déception ; la part belle est faite, en terme de présence à l’écran, à la secte de Viktor, là où l’utopie des Feux Volants reste en arrière plan de la série.
Sur le milieu de la saison 2 : savoir faire mourir ses personnages
Si Viktor, Heimerdinger, et le scientifique furieux Singed sont des personnages qui prennent en profondeur dans cette saison 2, d’autres me laissent plus perplexes.
Sur les 6 premiers épisodes de la S2, les choses vont très vite avec Vi qui passe d’anti-flic à flic à anti-flic en 2 épisodes, alors qu’elle est censée être un personnage pilier qui n’évolue pas beaucoup, ce qui lui enlève de la profondeur, de la densité et de la cohérence. En terme de personnage manipulable, nous avions déjà Caitlyn, dont les revirements deviennent lassants, nous le verrons. Également, le fait qu’aucun personnage de la teneur de Silco ne prenne le relais de ce dernier sur la saison 2 génère un petit sentiment de vide au niveau du casting.
Lorsque la fin de la série arrive, le milieu de celle-ci laisse un goût amer d’inachevé. Il y avait trop de trames à résoudre en peu de temps, effet qui m’a donné une impression de scénario bâclé. Certains de ces arcs n’apportaient rien de plus, et nous font sentir que la série ne sait pas faire mourir ses personnages :
- Déjà l’arc de la Rose ne sert à rien. Medarda serait morte durant l’explosion du conseil (fin s1) que le résultat global aurait été quasi le même.
- L’arc de Vander aussi était très dispensable. Vander aurait pu mourir avec Isha (sacrifice finalement vain puisqu’il y survit), ou même ne jamais revenir.
- Quitte à tuer Jinx, sa mort aurait été beaucoup triste, plus significatrice, forte et marquante si elle s’était suicidée (soit qu’Ekko arrive trop tard, ou que son pouvoir soit insuffisant à la convaincre).
- Vi, à part ses revirements policiers, n’évolue pas beaucoup, et c’est justement une force de la série de proposer un personnage pilier d’une droiture libre comme Vi. Je trouve dommage que la série pose finalement cette droiture comme une faiblesse qui génère la mort de Jinx, par l’incapacité de Vi à passer au-delà de Vander.
Si l’évolution de Jinx est un sans faute scénaristique, à l’inverse Caitlyn a une évolution trop rapide et sans cohérence. Lorsqu’elle descend dans la Basse-Ville dans la S1, elle comprend la situation de pauvreté qui y règne. On se serait attendu à ce qu’elle prenne le parti de la Basse-Ville avec Vi, qu’elle rejette la police. Le choix qui a été fait dans la S2, de faire un revirement putchiste fasciste en 1,5 épisode, à cause du trauma-meurtre de ses parents, est trop rapide et mal amené (là où le trauma de Jinx met, à l’inverse, un certain nombre d’épisodes à être installé), bien que cela aurait pu avoir du sens, proposant une lecture politique particulière.
C’est au troisième revirement (encore plus expéditif), sur un ton de “Oh, mince, en fait le fascisme ne fait que continuer à engendrer la violence” -sans dec- que, là, j’ai vraiment soufflé fort. Caitlyn est rendue vraiment fade, naïve, manipulable, sans grande profondeur. Un tel personnage aurait dû être secondaire, ne pas avoir une place aussi importante dans la narration ni autant de pouvoir.
Vi et elle qui partagent un moment charnel dans la prison alors que Jinx vient de se mettre en l’air, j’ai trouvé la scène cynique, pour ne pas dire choquante.
Je ne pense pas qu’il manquait une saison, mais 1 ou 2 épisodes supplémentaires pour développer un peu certains propos et travailler les revirements scénaristiques, auraient été les bienvenus. Et bien sûr, couper les arcs dispensables (le retour de Vander, l’arc de la Rose) aurait vraiment pu mener à une série plus solide sur ses appuis.
Une résolution politique plus que décevante
Si l’écriture des personnages est un peu bâclée, elle n’est pas si catastrophique. La série reste d’une densité et d’une profondeur thématique rare lorsqu’on la compare à d’autres séries, y compris sur les relations.
Là où le bât blesse, c’est sur l’écriture du paroxysme de la série. Normalement, à ce stade final de la série, le centre thématique aurait dû évoquer un processus révolutionnaire ou une résolution satisfaisante de l’apartheid de classes, sur la même temporalité que la gestion de l’Arcane et du projet transhumaniste de Viktor. La vision matérialiste de la S1 aurait dû les mener vers une conclusion du type : on ne peut résoudre les enjeux technologiques sans mettre fin aux dominations qui les ont générées. Ainsi, la révolution de Zaun face à Piltover aurait dû se faire de concert avec la mort de Viktor et la destruction de l’Arcane.
Or, ce n’est pas du tout ce que la fin de la saison propose ; elle se scelle par une alliance incompréhensible de l’Undercity avec les dominants de Piltover pour combattre Ambessa et Viktor. Parce que les gentils gentils doivent combattre les méchants méchants. Comment les gens de la Basse-Ville peuvent-ils accepter ça ? Comment les dominants, la police, peuvent-ils combattre Viktor et Ambessa alors qu’ils étaient de leur côté et qu’ils participent à un projet tout aussi néfaste ? On assiste là à un revirement de la saison très simpliste. Et surtout très complaisant envers les dominants et au final pro-flic, très not all cops, et ce malgré une suite de violences continues depuis la saison 1.
La résolution politique est bien piteuse, Zaun gagne un siège au conseil que Sevika accepte, une sacrée blague par rapport aux attentes des habitants de Zaun. Enfin, pour être exact, ce qui est nul n’est pas tant l’échec révolutionnaire que le fait qu’il n’y ait pas de discours critique sur cet échec de Zaun à gagner son indépendance ni sur les dominations qui persistent à la fin.
Que Caitlyn, responsable majeure de la dictature, de camps d’enfermement et autres horreurs, s’en sorte en plaidant sa naïveté, son caractère manipulable, sans jugement critique de la narration, soulève un problème sérieux de complaisance et de banalisation du fascisme.
Conclusion
Ce n’est pas une fin si étonnante au vu du système qui produit la série. Simplement, après une saison 1 qui promettait une série révolutionnaire et matérialiste à grand budget, et avec une diffusion massive, les espoirs sont forcément douchés. L’écart de qualité entre la S1 et la S2 est trop important.
Certains diront que d’autres revirements politiques dans le lore, les séries et jeux suivants, viennent nuancer le propos mais, dans l’univers de League Of Legends, voire dans le monde de l’animation, seule Arcane a eu et aura probablement une telle force de frappe culturelle et politique au niveau mondial, alors c’est seule, en tant qu’œuvre complète, que je l’ai jugée.
Arcane reste une série extrêmement riche, dense, et ambitieuse sur ses thématiques, d’une grande qualité d’animation, sur la BO aussi. Dommage qu’elle soit passée à côté d’être un chef-d’œuvre vraiment inoubliable.