Le roman d’Anne-Sophie Devriese, Biotanistes, c’est un savoureux mélange entre post-apo, médiéval et dystopie. Ajoutez des idées foisonnantes de créations mécaniques à tous les coins de rues, du voyage dans le temps, et vous voilà avec un univers vu nulle part ailleurs.
Résumé
Dans une ambiance à la Nausicaah la Vallée du Vent, dans le sable et le voyage initiatique, débute Biotanistes. Au milieu du désert, un convent (en référence aux sorcières) de sœurs domine l’une des rares cités à s’être reconstituées après les cataclysmes écologiques du XXIème siècle. Rapportée par l’errant Ulysse, Rim va grandir dans le convent, et découvrir peu à peu ses savoirs technologiques, mais également les secrets et mensonges qui l’entourent. Peu à peu, elle va entendre d’une oreille plus attentive les rumeurs de la ville, et ses quelques discours subversifs.
Et si faire des hommes et des femmes des êtres égaux n’était pas une idée si saugrenue ?
Critique
Dystopie matriarcale
Anne-Sophie Devriese joue l’inversion avec notre réel : le sexisme est renversé, et avec lui l’oppression systémique, où, dans ce futur pas si lointain, ce sont les femmes qui dominent la société, et particulièrement les hommes.
Belle et le Beau Dormant, Le Petit Chaperon rouge, Barbe Bleue, le Beau et la Bête, l’histoire même des contes est réécrite en inversion dans cette matriarchie qui a assis son pouvoir avec une culture à son image. La mythologie et les légendes médiévales sont également réutilisées dans ce but, donnant de nombreux prénoms aux protagonistes du roman.
Les savoirs scientifiques et technologiques sont privatisés majoritairement par une classe sociale′; le convent, les femmes. Cela donne une saveur particulière′: le steampunk tel que je l’aime le plus′: un rapport à la technologie ancré dans les rapports de domination.
Finesse de la déconstruction
Au travers de Rim, Anne-Sophie nous présente un personnage en quête du juste, et dont les étapes sont décrites avec précision. Rim passera par diverses étapes ; d’une fille éduquée dans le matriarcat et impulsive, elle va subir quelques déclics, rendus possibles par certaines ouvertures créées par son entourage. Rim passera également par l’étape de la militante convaincue dans le discours par l’égalité des sexes, mais dont la remise en question ne touche pas encore son mode de vie et ses actes.
Ces nuances transportent le récit de son évolution dans le réaliste, lui donnent une touche de complexité très appréciable.
Un parcours reflet de nombre de militants d’aujourd’hui dans leur déconstruction des croyances et normes de la société.
Si Rim choisit dans une certaine mesure de prendre les portes de sortie de son aliénation que ses proches lui proposent, les déterminismes puissants que l’autrice met en jeu dans son univers nous montrent bien que tous n’ont pas ce choix. Comme Olympe, qui, piégée dans un set cognitif et de valeurs rigides, n’a pas le choix d’opter pour le camp des oppresseurs et de l’atrocité.
Style
De la polynarration
Au moment où l’on pense que Rim sera l’héroïne du récit, les autres personnages entrent en scène, prennent la narration, et équilibrent les parts d’action de l’intrigue. Miroir de la critique d’une telle société inégalitaire, la diversité des personnages narrateurs ancre Biotanistes dans une certaine apologie d’une réelle mixité égalitaire.
Prévisible ?
Cependant, quelques défauts d’un début de carrière pointent le bout de leur nez ; notamment la présence de certains événements que le lecteur peut (pré)voir longtemps à l’avance, s’il a l’habitude de lire.
Je pense à la mort d’un enfant, personnage secondaire que l’on voit arriver de loin : il semble développé sur la fin un peu artificiellement pour créer un attachement émotionnel. Sa mort n’a de plus que peu d’impact sur l’histoire.
Ou encore le fait que l’on comprend certains éléments trop vite ; dès le début, le jeu de mot « Ma sœur » dévoile la parenté d’Ulysse avec Antho, et le diminutif Alex révèle également le travestissement de ce dernier, là où l’intrigue aurait peut-être gagné à les cacher plus longtemps au lecteur, pour permettre une relecture.
’
Fluide
Délicat équilibre entre description de l’univers et intrigue, le style ménage ses pauses et actions. Beaucoup dans la suggestion, l’autrice nous laisse remplir les parts de cet univers aux consonances médiévales, mais truffé de technologies et pensées anachroniques. Avec de nombreux rebondissements, l’immersion est assurée.
La lecture est très souple, les phrases très accessibles, rendant le livre intelligible à un public très jeune son propos politique féministe et écologiste appuyé.
Une fin un peu trop parfaite ?
Si la fin ouverte est excellemment trouvée, ouvrant sur une nouvelle aventure, espoir pour l’humanité toute entière, la fin de l’intrigue locale, notamment celle des personnages, peut laisser quelque peu sur la faim le lecteur.
Tout d’abord, certains aspects sont trop survolés, en premier les sujets qui articulent relationnel et politique : le polyamour face à l’obligation de fidélité. Dans la même veine, une intrigue homosexuelle nous est vendue au tout départ, mais très vite, c’est un homme que Rim aime. Et le travestissement de genre de certains personnages est uniquement à but stratégique : aucun propos trans ou queer, comme on aurait pu l’espérer en voyant des thématiques très proches, ou encore les nombreux jeux d’inversion de l’intrigue.
Pourtant mis en danger un peu artificiellement juste avant la fin, dans un retour au passé qui sépare les binômes, nos personnages principaux seront tous casés à la fin dans leurs petits couples hétéronormés. Un cliché que l’intrigue avait jusque-là réussi à éviter.
Enfin, la résolution politique est parfaite ; les méchantes oppresseurs sont arrêtées et meurent, et les gentils gagnent complètement.
Heureusement, ces aspects peu subtils n’éclipsent absolument pas le reste de l’œuvre et la complexité que l’autrice a insufflée sur les thématiques abordées et dans l’évolution de ses personnages.
Et si la fin est positive, elle a l’excellent mérite de ne pas tomber dans le cynisme ou défaitisme écologique, et de pousser à l’action.
Conclusion
Des abeilles mécaniques à la chaleur suffocante, le propos de Biotanistes bourdonne intelligemment à mes oreilles, prolongement de l’actualité écologique. Un roman initiatique somme toute classique mais à l’enrobage parfait.
Un beau roman résolument féministe qui nous donne bien envie de découvrir les prochains d’Anne-Sophie Devriese !