Avenir sombre en France, quels horizons pour la Création, pour la série Ewilan d’Andarta ? Pour Rageot ?


Avec la perspective d’un gouvernement RN (ex FN) dans un mois à Matignon (ou en 2027), intéressons-nous aux conséquences d’une telle virée à droite du pays sur la création, et même directement sur l’adaptation en série d’Ewilan par le studio d’animation Andarta Pictures.

Gardez en tête que cette article reste spéculatif, une exploration des possibles ; vous trouverez les sources en bas de l’article.

Vers la fin de la culture, au profit du patrimoine

Un petit tour sur le site du Rassemblement National pour lire leur programme, et le constat est accablant : rien pour la culture. Le terme est banni au profit de ceux de patrimoine et tourisme ; les fonds alloués à la création (comme par exemple ceux donnés par le CNC et le CNL) sont appelés à s’effondrer, pour être envoyés dans la préservation du patrimoine physique, en particulier les monuments historiques. Il est même à prévoir une fusion entre ces ministères aux fonctions normalement bien différentes.

Du côté des droits sociaux dans la culture : le RN compte s’attaquer aux statuts spéciaux des intermittents du spectacle, mettre fin à l’assurance chômage, contribuer à la baisse des salaires, etc., autant de points qui détruiront les emplois dans la culture et par là son industrie. Le RN s’oppose même à la création du statut d’artiste-auteur, statut dont la mise en place est urgente pour sortir le métier de l’extrême précarité.

La vision du Rassemblement National pour la culture n’est pas qu’une promesse morbide en l’air, dans les mairies locales gagnées au RN, la bataille fait déjà rage contre les acteurs locaux de la culture ; cinémas, opéras, et théâtres de petites villes ont vu leurs financements baissés et des conflits apparaître autours d’œuvres d’art, livres queers et festivals culturels déplaisant au parti.
La direction est claire ; une perte de diversité dans la culture pour privilégier la construction d’un roman national glorifiant une certaine vision de la France.

Conséquences pour la série ?

Pour Andarta, c’est donc une course contre la montre qui pourrait s’engager, puisque la série est prévue pour fin 2025. Si le RN passe en juillet, il aurait un an et demi pour passer des réformes qui pourraient impacter la première saison, notamment en réformant France TV, le diffuseur de la série. C’est peu.
Gardons donc la tête froide ; déjà entamé, il est peu probable que le RN puisse faire des mesures impactant le financement de la première saison (qui couvre le T1 d’Ewilan, D’un Monde à l’Autre). Mais il pourrait jouer sur sa diffusion en rebattant les cartes des programmes de France TV, laissant Andarta avec une série terminée, sans diffuseurs. Ajoutons cependant que même ce dernier cas est également peu probable : les contrats sont signés, avec paiement à livraison ; France TV perdrait donc beaucoup à annuler la diffusion TV de la série.

En fait, plus qu’un impact sur la sortie de la première saison, il est à craindre que les décideurs pour le financement et la diffusion des saisons suivantes ne soient plus les mêmes : la porte France TV risquerait de se fermer pour la suite.

Éventuellement, la direction de France TV pourrait la faire à l’envers au studio en diffusant la série seulement sur une chaîne (ou horaire) à audience très réduite ; France TV Slash sur internet par exemple ; tuer dans l’œuf la réception de la série sans prendre le risque de la censure. Mais là encore, France TV y perdrait beaucoup, au vu des investissements.

Même logique chez les macronistes : le cassage de l’audiovisuel public

France 4 (Canal TNT 14), chaîne indiquée a priori1 pour la série Ewilan, avait déjà évité la disparition en 2021, l’ancienne ministre de la culture Françoise Nissen2 ayant souhaité voir disparaître la chaîne au profit de deux projets successifs : d’abord Okoo, une chaîne-programmation pour les tout petits (3-12 ans), puis France Info pour que la chaîne gouvernementale gagne en audimat. En 2020, le covid et les programmes scolaires présents sur France 4 font exploser les audiences, le projet de suppression de la chaîne tombe alors à l’eau face à la grogne.

Une fusion de l’audiovisuel public

Malheureusement, le projet méthodique du cassage de l’audiovisuel public mené par le gouvernement et ses alliés ne s’est pas arrêté là.

Le 14 mai dernier, l’actuelle ministre de la culture (Rachida Dati) a porté, après le vote des députés en commission, la fusion pour 2026 de l’audiovisuel public, c’est-à-dire la fin de France TV et de la Maison de la Radio tels qu’on les connaît, pour les regrouper au sein d’une même holding, qui serait dirigée là encore par une personne nommée directement par le président de la République. La fusion regrouperait également l’INA et, selon les prochains amendements, éventuellement France Médias Monde (RFI). Là encore, le projet de fusion est de longue date, et avait déjà été repoussé par le covid.
Après une période de transition, la holding fusionnera en 2027 ses services et directions éditoriales, pour ne former plus qu’un seul média, à l’image de l’ORTF.

Pour tous ces médias, cela signifie une grande perte de diversité éditoriale et de financements, des licenciements massifs, la fusion des instances de personnels, des syndicats, et un resserrage de vis gouvernemental global sur la liberté d’expression. Un bonheur pour le privé, qui pourrait pousser le gouvernement à la vente pure et simple de l’audiovisuel public.

Le piège tendu aux différentes chaînes publiques commençait déjà à se refermer l’année dernière avec la fin de la redevance TV, qui leur assurait un revenu fixe ; maintenant, le gouvernement est en position de chantage, puisqu’il a la main sur la totalité de leur budget. Malgré les grèves et autres protestations, le gouvernement a continué en force.

Macron + RN = ♥

Ces casses, initiées par la République en Marche et votées haut la main par le Rassemblement National, sont largement appelées à se concrétiser si ces partis passent au pouvoir en 2027, ou dès le mois de juillet, en cas d’échec du Front Populaire.
Dans cette lancée, Sébastien Chenu (Rassemblement National) a annoncé juste après la dissolution de l’Assemblée Nationale que son parti, une fois au pouvoir, mettrait en œuvre la privatisation de l’audiovisuel public, pour un gain de 3 milliards d’euros. Chose faisable à ses dires « dans le cadre d’un mandat ». À ce prix, ce sont les bijoux de famille bradés à la brocante du dimanche pour quelques euros symboliques. Et l’annonce de purges dans les rédactions, comme ce fut le cas lors des rachats d’Europe 1 et du JDD par Vincent Bolloré, pour mettre à la place des personnalités issues de la militance d’extrême droite. Des purges donc déjà commencées par le pouvoir en place, et qui viennent d’atteindre un point culminant avec l’éviction de Guillaume Meurice de France Inter.

Le combat du RN pour la privatisation se heurtera cependant à la législation européenne récemment votée sur la liberté des médias5. Cela pourrait retarder le RN, mais malheureusement, le gouvernement Macron se torchant d’ores et déjà avec les décisions de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (notamment sur la question des violences policières) et des autres institutions européennes, il est raisonnable de penser que la Cour de Justice Européenne sera bien incapable d’imposer quoi que ce soit à la France, si celle-ci se fait condamner.

Conséquences à long terme pour les séries France TV comme Ewilan

Dans ce contexte, on voit mal un audiovisuel public dirigé par l’extrême droite financer et diffuser une série adaptée d’un roman dont l’auteur décrivait ainsi son genre de prédilection, la fantasy : « un imaginaire où la démocratie, la liberté, la tolérance sont des valeurs essentielles3 ».

Il est difficile de savoir comment précisément, mais sans aucun doute que ces mesures affecteront les décisions concernant la production / diffusion de la série, surtout si l’on regarde à moyen terme, vers les saisons 2 et 3, où même vers l’adaptation des Mondes d’Ewilan. En effet, si la première saison est prévue par France TV, rien n’est encore signé pour les suivantes, choix soumis aux aléas du succès de la série… ou des directives politiques. Andarta pourrait bien devoir chercher un autre diffuseur pour la suite.
Même s’il n’est pas exclu, il y a plus insidieux qu’un abandon pur et simple des saisons suivantes : la relégation à de petites audiences. Ou encore de petites coupes idéologiques qui pourraient s’immiscer dans le projet, et trahir le matériau d’origine.

Signalons enfin qu’une fois la première saison diffusée et son succès établi, si jamais France TV venait à lâcher le studio, la porte de d’autres diffuseurs pourraient s’ouvrir. Andarta aura probablement, à ce moment, de quoi rebondir.

Et Rageot dans tout ça ?

L’édition n’est pas en reste des ces politiques offensives contre la culture. Actuellement la tendance est à la concentration et à l’extrême-droitisation des grands groupes éditoriaux. Notamment chez le groupe Hachette, qui possède Rageot, et qui est possédé par Vincent Bolloré, le milliardaire soutien d’Eric Zemmour et de la chaîne CNews. Auditionné l’année passée pour sa main-mise sur les médias, le milliardaire s’est retrouvé face à une assemblée nationale à majorité macroniste très compatissante.
Depuis, on aperçoit des remous dans le groupe ces derniers mois. En mars, Bolloré a par exemple propulsé  à tête de la maison d’édition Fayard l’éditrice qui publiait auparavant chez Albin Michel rien de moins que… Eric Zemmour, le royaliste Philippe de Villiers, ou encore Jordan Bardella, la nouvelle tête du RN. Pierre Bourdieu, auparavant édité chez Fayard, doit se retourner dans sa tombe. Doublés par la droite, des éditeurs et auteurs sarkozystes ont claqué la porte dans la foulée, quand ils n’ont pas été carrément licenciés, comme l’ancienne directrice Isabelle Saporta.
Fayard, cousine de Rageot dans le groupe Hachette, rejoint ainsi la lignée des maisons d’édition gouvernées par l’extrême droite, avec Ring/Magnus et leur combat pour la main-mise culturelle.

L’indépendance des éditeurs est largement menacée par la conjoncture actuelle. Rageot passe a priori pour l’instant entre les radars des appétits rapaces de l’extrême droite, mais pour combien de temps ?

Pierre Bottero, antifasciste ?

On peut juger l’antifascisme timide4 chez Pierre Bottero, mais il est bel et bien présent, n’oublions pas Les Mondes d’Ewilan :

« Il n’avait donc jamais accepté la présence d’un garde du corps même si, comme le lui avaient fait remarquer nombre de ses amis, sa récente intervention lors d’un conseil de sécurité pour dénoncer les dérives des mouvements d’extrême-droite lui avait attiré des haines virulentes.
Bruno Vignol avait été l’un des premiers à affirmer que, si les skinheads n’étaient pas tous des néonazis, la mouvance bonehead était, elle, composée de dangereux fascistes qu’il fallait à tout prix combattre. Cette déclaration n’était pas censée être médiatisée, pourtant des journaux l’avaient rapportée et il avait rapidement reçu des menaces de mort.
Il repensa à ces lettres anonymes en apercevant devant lui dans le couloir du métro un groupe d’individus aux crânes rasés, chaussés de boots ferrées aux lacets blancs, vêtus de tenues militaires bardées d’insignes clinquants, qui toisaient agressivement les passants. »

La Forêt des Captifs. Les Mondes d’Ewilan T1, p. 255-256

Le bruit des bottes est bien là, et notre héritage littéraire sera bientôt en ligne de mire.


Notes

1 – France 4 a été évoqué, et correspond bien en terme de programmation, mais ne figure pas sur les contrats. Cela pourrait être également France 3, par exemple.
2 – Éditrice connue pour avoir refait le parquet des locaux d’Actes Sud avec l’argent public.
3 – SAGNET, Hélène, Entretien avec Pierre Bottero, in Lecture Jeune, n° 131, [septembre 2009], marchombre.fr, 2021

Disponible en ligne : https://marchombre.fr/interview-pierre-bottero-lecture-jeune-2009/.
4 – On en parle dans Le Cycle de l’Ailleurs est-il œuvre libérale ? Extrait, analyse de la citation : « On y trouve un personnage critique des mouvances d’extrême droite, qui lutte activement contre elles, dans une perspective anti-fasciste. Cependant, cet antifascisme est très édulcoré, puisque nourrit par un culte de la tolérance de l’extrême droite : Bruno Vignol dénonce les “dérives” de ce mouvement politique, et non l’existence du système qui les tolère, les rend possibles (voir qui les utilise pour se légitimer et les encourage). »
5  – Le Media Freedom Act, voté récemment à l’Europe, protège les services publics de l’audiovisuel au niveau européen.


Sources :

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