Critique « Toxoplasma »


A la fois farouchement anticapitaliste et nostalgique des années 80, Toxoplasma jongle entre les thèmes, les genres et les imaginaires. Issu d’une influence cyberpunk et d’un éparpillement stylistique à la Terry Pratchett, mais qui tient aussi du roman politique et intimiste, cet inclassable résiste aux définitions des critiques…

L’autrice

Éditée chez La Volte, cette écrivaine trans jongle entre Montréal et Paris, mais ses romans ne constituent qu’une infime portion de ses publications artistiques. Elle travaille (entre autres) dans la BD et le game design. Après Sous la Colline et Elliot du néant, elle nous sort fin 2017,  tout droit sortit de son esprit fin et déjanté, son dernier roman Toxoplasma, Grand Prix de l’imaginaire 2018.

L’histoire

Sur l’île de Montréal, avant-dernier bastion autonome de la planète face au capitalisme, les habitants (sur)vivotent dans ce foisonnement d’initiatives politiques et de questionnements existentiels. Trois femmes prennent le premier plan de la narration, Nikki, Kim et Mei, qui tentent de trouver une cohérence à leur environnement autant qu’à leurs vies. Nikki, passionnée des nanars, des mauvaises séries B (voire Z) d’horreur des années 80,  »travaille » dans le vidéo-club de son quartier. Lieu de perdition où les clients, nostalgiques des années de la consommation illimitée, recherchent quelques frissons échappatoires. Dans les nombreux moments où elle s’absente de son  »job » à horaires volontaires, Nikki enquête sur les meurtres de chats et de ratons-laveurs, inexorablement liés à l’avenir politique de la ville, pense-t-elle. Elle s’engage aussi dans le hacking de la grille, ce reste en ruines, oublié mais très contrôlé d’Internet avec ses amies Kim et Mei.

Petits frissons

Déroutant et foisonnant, Toxoplasma représente merveilleusement son titre : référence au virus (imaginaire) que les chats attraperaient et qui ferait naître en eux le projet de devenir les maîtres du monde.

Edit : La Toxoplasmose est une vraie maladie, si j’y ai vu une référence, ça n’est pas le cas de l’autrice.

Disjoncté, barré certes, mais pas moins fin dans ses propos. Le roman oscille entre une impression de profondeur et des questions existentielles réellement profondes. Suivant la ligne éditoriale de la Volte, c’est un récit de la vie interstitielle. Vie qui s’engouffre dans quelques failles de l’Histoire, notamment par ce quotidien insaisissable des personnages dans un contexte on ne peut plus incertain de l’avenir. Véritable plongeon, s’y noie celui qui cherche le fond tandis qu’à l’inverse, les courants portent le lecteur qui se laisse prendre au jeu, sans chercher à tout comprendre. On retrouve dans cette direction l’âme de son précédent roman Elliot du Néant, où le lecteur, à l’image du jeu d’Elliot, gagne le jackpot s’il trouve du sens là où, de prime abord, il n’y en avait peut-être pas.

Prouesse stylistique par ailleurs, avec une multitude de registres de langues différents, entre vulgaire, SMS lapidaire, touche québécoise et spécialité cinéma… Ce roman est un amalgame qui construit par strates une couleur unique et difficilement oubliable.

Féministe aussi, entre deux intrigues politiques, ou quelques enquêtes de chats, l’intimité des relations surgit. Elles sont brutes, parfois violentes, jamais simplifiées. La quasi-absence d’hommes dans l’œuvre donne un regain de fraîcheur à la littérature, nous emportant hors de nos zones de conforts, à l’air libre.

… Et ensuite ?…

A titre très personnel, ce roman est mon coup de cœur 2018-2019, son univers riche et saisissant a marqué mon imaginaire pour facilement les quelques années à venir.

A la fois pessimiste dans son anticipation du monde et optimiste par son regard bienveillant sur l’humain, Toxoplasma cumule les paradoxes, et fait de ses apparentes incohérences sa figure de proue. Un condensé pure de vie, au-delà des adversités, des subjectivités. Ou plutôt par celles-ci, que l’on traverse de l’intérieur, par toutes ces sensations physiques, qui bien souvent, court-circuitent l’intellect pour rejaillir de manière pleines et vivifiante par le corps. Que demander de plus à un roman que des sensations physiques bien réelles ?

Le site de la Volte : https://lavolte.net

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